Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Bon, la Brute et le Néant

15 décembre 2011

ACTE 4, Scène 2

DIEU
- Mais que fais-tu ?
 
LUCIE FER
- Tu le vois bien, je fais du stop.
 
DIEU
- Pour aller où ?
 
LUCIE FER
- Autre part. Je quitte l'Univers .
 
DIEU
- Et par qui espères-tu être prise ?
 
LUCIE FER
- Par les siècles et les millénaires qui passent.
 
DIEU
- (Blasé) Ah. Bonne chance alors. (Il boit une gorgée de vin)
 
Long silence, Dieu boit.
 
LUCIE FER
- C'est incroyable. Il ne passe jamais personne par ici. Le temps ne s'est tout de même pas arrêté.
 
Long silence, Dieu boit.
 
LUCIE FER
- Je sédimente.
 
Long silence, Dieu boit.
 
LUCIE FER
- Je fossilise.
 
Court silence.
 
LUCIE FER
- Et si ça continue je vais diagéniser. Ça fera un joli calcaire à Satanites.
 
Court silence.

LUCIE FER
- Ah. Voilà quelqu'un. On dirait que c’est une époque difficile. Tant pis essayons quand même. Tâchons d'avoir bonne mine. (Elle époussette un peu la poussière qui la recouvre, passe une main dans ses cheveux, et rajuste son casque)
 
L’époque passe, tranquille et invisible. Lucie Fer l'observe, espérant qu'elle va s'arrêter, mais il n'en est rien.
 
LUCIE FER
- Encore une époque qui a des préjugés contre le Diable. (Elle tend de nouveau son pouce)
 
Long silence. Dieu boit. Un siècle passe.
 
LUCIE FER
- C’est pas vrai. Personne ne s’arrêtera. Mais qu’ai je fais au bon Dieu pour mériter ça ?
 
Lucie Fer recommence à faire du stop. Les siècles et les millénaires se succèdent, entrecoupés de plus ou moins longues périodes de silence.
 
LUCIE FER
- Ce doit être ma gueule. Ai-je l'air si terrible ? Franchement, si vous croisiez sur le bord de la route, une pauvre diablesse en détresse, avec de longues cornes, des oreilles pointues et une queue fourchue, hésiteriez-vous à lui porter secours ? (Un temps) Oui, vous hésiteriez ! Mais pourquoi ? Vous ne risquez rien. Ou si peu. Je ne fais le mal que par nécessité. Je n'en veux pas particulièrement à votre personne. Simplement, je suis là parce que le bien a besoin d'avoir mal de temps en temps pour se sentir bien. C'est tout.
 
Un siècle passe à toute vitesse.
 
LUCIE FER
- Ils se moquent totalement de tout ce que je raconte.
 
Soudain, on entend un crissement de freins suivi du bruit de deux siècles qui se percutent.
 
LUCIE FER
- Tiens, un accident de l'Histoire. Bien fait. (Elle reprend sa position d'auto-stoppeuse)
 
Long silence. Un millénaire et quelques siècles passent.
 
LUCIE FER
- Je crois que je vais changer de stratégie.
 
Lucie Fer enlève sa robe et son tablier de cuir, et se retrouve dans ses dessous. Elle sort alors de son baluchon, un short extrêmement court et moulant ainsi qu’un tee-shirt également très court.
 
LUCIE FER
(s’habillant)
- Le coup de la belle routarde en panne sur l’autoroute du temps, ça marche toujours. (Elle se refait les lèvres avec un tube de rouge à lèvres, puis se regarde dans un petit miroir) Pas mal. Là, s’il ne se battent pas pour me prendre, c’est qu’il sont tous pédés. (Elle reprend sa position d’auto-stoppeuse) En voilà un. (Le millénaire invisible s’arrête) Salut beau millénaire. Vous allez chez vos parents ? (A elle même) Par l’Enfer, qu’il est laid. J’aurais mieux fait de me taire. (On entend une succession de voix inaudibles parlant à un rythme accéléré, c’est le millénaire qui s’exprime) Quoi, tu veux m’emmener au septième ciel ? Non mais, tu ne te prends pas pour de la merde. Tu t’es vu, vicieux ? (Le millénaire répond par un juron accéléré) Allez dégage sale cochon ! Pour qui me prends-tu ? (Le millénaire pousse un dernier juron puis démarre en faisant grincer les freins) C’est ça, casse toi. (Le millénaire disparaît au loin) Ouf ! Je l’ai échappé belle. Il avait vraiment une sale tête. Je crois que je vais remettre ma robe et mon tablier, c’est moins risqué.
 
Tandis qu’elle remet sa robe, plusieurs millénaires surgissent brusquement et passent les uns à la suite des autres dans un vrombissement de moteurs dont le courant d’air fait voler la robe de Lucifer, ce qui ne manque pas de provoquer quelques sifflements.
 
LUCIE FER
- Obsédés ! Chauffards ! Antisatanistes ! A-t-on idée de traverser l'Univers à cette vitesse. Depuis qu'il n'y a plus personne pour faire respecter l'ordre, les millénaires se croient tout permis, les brutes.
 
Lucie Fer recommence son stop. Après quelques instants, un siècle se fait entendre hoquetant.
 
LUCIE FER
- Ah ! Voilà un siècle, là-bas, qui s'arrête. C'est gentil. Enfin, depuis le temps que j’attends. Mais pourquoi s'arrête-t-il si loin ? Que fait-il ? Qu'attend-il pour repartir ? Oh non. Pas ça. Ah, j'ai de la marmite, moi, tiens. Il est tombé en panne, fin de siècle.
 
Court silence, Dieu boit.
 
LUCIE FER
- Heureusement, en voilà un autre. (Elle lui fait un signe) Ohé ! Youou ! Il m'a vu. Il ralentit. Il s'arrête. Il repart. (Elle hurle) Il repart ! Mais pourquoi repart-il ? Ah non ! Ne t'en vas pas. Je t'en prie. Je ne suis pas méchante, je ne suis que Satan. Emmène-moi avec toi. Je t’en supplie. Ne me laisse pas. Je ferai tout ce que tu voudras, mais, par pitié, ne me laisse pas. Ne me laisse pas. Ne me laisse pas. (Elle sanglote) C'est inutile, personne n'aura pitié d'une petite diablesse à la retraite. Personne. Personne.
 
Lucie Fer revient lentement vers Dieu en laissant traîner son baluchon par terre. Elle l'abandonne au milieu de la scène.
 
DIEU
- Déjà de retour ?
 
LUCIE FER
- Non. Je ne suis jamais parti.
 
Lucie Fer s'affale contre un cercueil.
 
DIEU
- Ils n'ont pas voulu te prendre ?
 
LUCIE FER
- Non.
 
Court silence, Dieu boit.
 
DIEU
- Le temps est bien capricieux.
LUCIE FER
- Oui.
 
DIEU
- C'est toujours comme ça. Il va toujours trop vite ou trop lentement. Lorsqu'on veut qu'il s'arrête il nous évite, et si jamais il s'arrête on préfère qu'il passe.
 
LUCIE FER
- Hélas.
 
Silence presque interminable.
 
DIEU
- Je m'ennuie. (Il boit une gorgée de vin)
 
Silence.
 
LUCIE FER
- Moi aussi.
 
Silence.
 
DIEU
- Je crois que tout est fini.
 
Silence
 
DIEU
- Le pire du mal vaut parfois mieux que le meilleur du bien.
 
LUCIE FER
- Mettre l'un sans l'autre et nous ne sommes plus rien.
 
Silence
 
LUCIE FER
- L'enfer, c'est finalement de tout avoir.
 
Silence
 
LUCIE FER
- Car c'est ne plus avoir d'espoir.
 
Silence
 
LUCIE FER
- L'enfer, ce n'est pas le mal. L'enfer ?
 
Silence

DIEU
- C'est l'idéal.
 
Silence à la limite du supportable.
 
LUCIE FER
- Le temps fuyait. Comme terrassés par l'idéal,
Pour la première fois les Dieux se portaient mal.
Sombres jours ! Le seigneur déprimait lentement,
Laissant derrière lui couler le fleuve du temps.
Les siècles dansaient dans l'éternelle constante.
Après mille ans d'attente, encore mille ans d'attente.
On ne connaissait plus le mal ni même le bien.
Hier le prince des cieux, et maintenant plus rien.
On ne distinguait plus l'Eden de l'Enfer,
Cruelle solitude à qui ne sait qu'en faire,
Dans cet empire froid, mi pénombre, mi jour;
Siècles et millénaires se succédaient toujours,
Identiques et sans âme; peuplant d'effroi le vide
Où Dieu se noyait, seul, las de vivre et morbide.
Le temps fuyait. Au seuil du Paradis usé,
On voyait douze apôtres et leur écran brisé,
Éteints, sans énergie, murés dans la détresse
D'un Univers muet, sombrant dans la tristesse.
Ce n'était plus le groupe informatique du Père
Mais douze boites vides gisant aux ministères,
Une collection d'ombre dans le ciel noir.
La solitude vaste, épouvantable à voir,
A Dieu apparaissait, muette vengeresse.
Le temps faisait sans bruit avec le vin de messe,
Pour cet immense mythe, un immense linceul
Et chacun se sentant mourir, on était seul.
Sortira-t-on jamais de ce funeste empire ?
Deux ennemis ! La mort, le temps. Le temps est pire.
L'Univers tout entier ainsi se dégradait,
Le Seigneur était là, saoulé qui regardait.
Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,
Il se tourna vers...
 
Lucie Fer tourne la tête vers Dieu qui, sans lui prêter attention, continue de boire.
 
LUCIE FER
- Mon Dieu.
 
DIEU
- Tu as encore raison, Lucie Fer mon amie,
Et je n'ajouterai rien à tout ce que tu dis
Mais tant pis, que veux-tu ? J'aurais tout essayé,
Maintenant c'est fini et il nous faut payer.
On sonne la retraite pour les dieux aussi.

LUCIE FER
- Allons, relève-toi. Ce n'est pas la Russie.
Tout n'est pas perdu, l'avenir n'est pas si noir.
 
DIEU
- Comment crois-tu qu'il y ait encore un espoir ?
Il est trop tard. C'est le crépuscule des dieux,
Et la raison veut que nous quittions les cieux.
Allez, viens dans mes bras, souveraine des damnés.
 
Ils s'embrassent
 
LUCIE FER
- Nous séparer tout deux après toutes ces années,
Tu vas cruellement me manquer, mais c'est l'heure.
 
DIEU
- Las... Lucifer.
 
LUCIE FER
- Oui ?
 
DIEU
- Je... Adieu.
 
LUCIE FER
- Adieu Seigneur.
 
Ils se séparent, entrent dans leur cercueil respectif, et les referment sur eux. La scène s'assombrit progressivement. Seul le Tétraêtre reste éclairé comme par une lumière intérieure, et la musique de la marche funèbre du "Crépuscule de Dieux" de Richard Wagner accompagne la venue de l'obscurité.
Soudain le cercueil de Lucie Fer s’ouvre laissant filtrer une lumière rousse. La musique s’arrête brusquement avec un petit couinement. Lucie Fer sort en petite tenue affriolante, se dirige à pas de loup vers le cercueil de Dieu, et l’ouvre brusquement.
 
DIEU
- (Horrifié) Ah ! Lucie Fer !
 
LUCIE FER
- Cette fois Jéhovah, tu ne m’échapperas pas. (Elle referme le cerceuil.)

DIEU
- Mais qu’est ce que tu fais ? Non ! Pas mes vêtements ! Non !
 
Les vêtements de Dieu sont jetés, les uns après les autres, en dehors du cerceuil.
 
DIEU
- (Dans le cerceuil.) Au secours !
 
LUCIE FER
- Oh Oui !
 
DIEU
- A moi !
 
LUCIE FER
- Oh Oui !
 
DIEU
- A l’aide !
 
LUCIE FER
- Encore !
 
DIEU
- Au Viol !
 
LUCIE FER
 
- Encore ! Oh Oui ! Comme c’est bon.
 
DIEU
- Je suis déshonoré !
 
LUCIE FER
- Stop ! Ca y est ! J’en ai un ! Nous sommes sauvés !
 
On entend les pleurs d’un nouveau né. Le bras de Lucie Fer sort du cercueil pour mettre l’enfant dehors. Le rideau tombe.
 
 

FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
15 décembre 2011

ACTE 4, Scène 1

Le tableau IV est le royaume des enfers, dont la voûte s'est effondrée. Tout est délabré, sale, couvert de toiles d'araignées, et encombré de livres. On distingue, dans ce désordre, des morceaux du Quartier Général de Dieu. Le Tétraêtre est resté à la même place que dans la scène II, c'est à dire au centre de la scène, mais de chaque côté on a placé verticalement deux cercueils. La scène est toujours aussi faiblement éclairée.
 
UNE VOIX EN COULISSE
- Plusieurs milliards de millénaires plus tard.
 
Dieu et Lucie Fer sont dans un état vestimentaire pitoyable. Dieu, allongé contre un cercueil, charge un revolver avec six balles pendant que Lucifer, allongé sur le ventre observe à la loupe l'état du sol. Une fois le revolver chargé, Dieu le porte à sa tempe et décharge le barillet, sans aucun résultat. Dégotté, il jette l'arme et se met à boire au goulot d'une bouteille de vin.
 
LUCIE FER
- A la quatorzième planche, je dénombre: 2464 puces frétillantes, 22 moustiques écrasés, plus un mourant et deux éclopés, 3 tiques efflanquées, 321 araignées minuscules et 9 morceaux de toiles reprisées, 7 poils de barbe blanche de monsieur Jéhovah, 1638 empreintes de doigts de pieds sales, 460 bactéries aérobies à demi asphyxiées, 69 outrages à la pudeur microcosmiques pour cause de cellules ayant exhibé leurs chromosomes sexuels en public, quelques paroles en l'air qui ont manqué leur atterrissage, un mauvais quart d'heure de retard, 4 idées noires, 126 morals perdus, 214 oublis poussiéreux, 327 souvenirs moisis, 281 ...
 
DIEU
- Oh ! Ce n'est pas fini, oui ? Tu ne pourrais pas passer l'éternité à autre chose ? Non ? Tu me fatigues avec ton recensement systématique. Tu ne vas pas faire ça avec tout l'Univers ?
 
LUCIE FER
- Bien sûr que si. Je n'ai que ça à faire. Et quand j’aurai fini, je passerai l’Univers au microscope électronique à balayage, pour descendre encore d’un cran dans l’infiniment petit.
 
DIEU
- C’est absurde. A quoi cela va-t-il aboutir ?
 
LUCIE FER
- A un inventaire de l’Univers de zéro à l’infini
 
DIEU
- La belle affaire, ça va te servir à quoi ?
 
LUCIE FER
- A rien, sauf peut-être à faire passer le temps. De toute façon, c'est toujours mieux que de se saouler la gueule en broyant du trou noir.
 
DIEU
- Que veux-tu que je fasse d'autre ?
 
 
LUCIE FER
- Je ne sais pas.
 
DIEU
- Alors tais-toi.
 
LUCIE FER
- En tout cas, ce n'est pas dans l'alcool que tu trouveras la solution.
 
DIEU
- Fous-moi la paix, je te dis ! Laisse-moi oublier ! Laisse-moi rêver ! Laisse-moi tranquille ! Laisse-moi... (Il boit quelques gorgées de vin)
 
LUCIE FER
- D’accord, d’accord, je te lâche la grappe. J’ai encore tout un tas de livres à bouquiner. La production de l’esprit humain, c’est quand même quelque chose. Tiens, « Les fourmis » de Werber par exemple, un livre passionnant.
 
DIEU
- On s’en fiche de ton livre.
 
LUCIE FER
- Tu sais comment on fait quatre triangles avec six allumettes, toi ?
 
DIEU
- Lucie ! Ferme là !
 
LUCIE FER
- Tu ne sais pas, hein. Mais si, tu sais.
 
DIEU
- Oui, je sais.
 
LUCIE FER
- Alors dis le.
 
DIEU
- Lucie, tu cherches la bagarre !
 
LUCIE FER
- Parfaitement.
 
DIEU
- Tu perds ton temps, tu ne l’auras pas.
 
LUCIE FER
- Tu ne m’aimes plus, alors ?
 
DIEU
- Mais non, ce n’est pas ça.
 
LUCIE FER
- Alors c’est quoi ?
 
 
DIEU
- Lucie, tais-toi ! Par le néant, tais-toi !
 
Long silence.
 
LUCIE FER
- Dis, Jéhovah ?
 
Court silence
 
DIEU
- Quoi ?
 
LUCIE FER
- Voudrais-tu faire une partie de cartes avec moi ?
 
DIEU
- Je t'ai déjà dit de me laisser. Tu n'as qu'à demander au Tétraêtre si ça l'intéresse. (Il boit une gorgée de vin)
 
LUCIE FER
- Je serais bien surprise. Et puis, avec lui ce n'est pas marrant, il gagne tout le temps. Même quand je triche.
 
Court silence pendant lequel, Lucie Fer regarde Dieu d'un air suppliant.
 
LUCIE FER
- Allez. Rien qu'une.
 
DIEU
- Non ! (Il boit une gorgée de vin)
 
LUCIE FER
- Une toute petite ? (Court silence) Mm !
 
DIEU
- (Il soupire) Bon. D'accord. C'est bien pour te faire plaisir. A quoi veux-tu jouer ?
 
LUCIE FER
- A la bataille.
 
DIEU
- Comme d'habitude.
 
LUCIE FER
 
- Comme toujours.
 
DIEU
- Nous aurons peut-être l'impression de faire quelque chose. (Un temps) Sort les cartes.
 
Lucie Fer sort les cartes de sa poche puis les mélange.
 
LUCIE FER
- Coupe.
 
DIEU
- Je coupe.
 
LUCIE FER
- Je distribue
 
Lucie Fer distribue les cartes, et ils commencent à jouer.
 
DIEU
- Marie de Trèfle.
 
LUCIE FER
- Diable de Carreau. Je gagne. Et maintenant, 3 Démons de Pique.
 
DIEU
- 4 Enfants de Coeur. C'est moi qui gagne. A mon tour, Douze Apôtres.
 
LUCIE FER
- Douze Suppôts de Satan. Bataille.
 
Ils posent tout deux une carte cachée sur les deux premières.
 
DIEU
- Dieu de Pique.
 
LUCIE FER
- Diable de Pique. Nouvelle bataille.
 
Ils posent de nouveau une carte cachée
 
DIEU
- Dieu de Coeur. Ah ! Ah ! Contre l'amour de Dieu, tu es impuissante, Lucifer. Tu as perdu.
 
LUCIE FER
- Eh ! Eh ! Ne jubile pas trop vite, mon vieux. J'ai encore mon Jocker.
 
DIEU
- Impossible. Ou alors tu as encore triché.
LUCIE FER
- Normal. Ça fait parti des règles du jeu.
 
DIEU
-.Quel est donc ce Jocker que tu es allé m'inventer ?
 
LUCIE FER
- Le Tétraêtre !
 
DIEU
- Le Tétraêtre ?
 
LUCIE FER
- Le Tétraêtre. Et oui, aurais-tu oublié que nous avions une carte supplémentaire ? Ah ! Ah ! Ah ! J'ai gagné ! A moi le pactole !
 
DIEU
- Bof. Pour ce que tu ramasses, il n'y a pas de quoi bouillir de joie. Regarde. (Il retourne les cartes) Dix milliards d'êtres humains. Tu sais, ce n'est pas un cadeau. J'en sais quelque chose.
 
LUCIE FER
- Oui. C'est certain, l'homme ce n'était pas la perfection même.
 
DIEU
- C'est le moins qu'on puisse dire.
 
LUCIE FER
- Bon on continue la partie ?
 
DIEU
- Non, ça suffit. Ce jeu m’énerve.
 
LUCIE FER
- Allez.
 
DIEU
- Non.
 
LUCIE FER
- On joue au chemin de croix, alors ?
 
DIEU
- Ah non, surtout pas ça.
 
LUCIE FER
- Allez, un petit effort.
 
DIEU
- Mais enfin Lucie, y’en a marre à la fin. Puisque je te dis que non !
 
LUCIE FER
- Non. Vraiment ?
 
DIEU
- Non. Comment faut-il que je te dise les choses ? Je n'ai pas envie de jouer, ni aux cartes, ni au chemin de croix, ni à quoi que ce soit d’autre. Je n'ai envie de rien.
 
LUCIE FER
- C'est ce qu'on va voir. Je vais employer les grands moyens.
 
Lucie Fer dégrafe un peu plus sa robe pour dégager ses seins, et remonte un peu son tablier pour faire apparaître ses jambes, puis, elle se penche vers Dieu d’un air concupiscent.
 
LUCIE FER
- Ca ne te tente vraiment pas, une dernière petite partie de chemin de croix, mon doudou ?
 
DIEU
- Tu es vraiment diabolique.
 
LUCIE FER
- Sulfureuse, moi je dirais.
 
DIEU
- Ne me tente pas..
 
LUCIE FER
- Alors, cette partie ? Mm ? (Elle commence à dégrafer la chemise de Dieu en lui mettant les seins sous le nez)
 
DIEU
- Heu ... Cette partie de ... Heu ... de ... de quoi cette partie ?
LUCIE FER
- (Elle se penche encore plus) Et bien de j ... (elle se redresse soudain, l’air malicieuse) jeu de croix, bien sûr. A quoi penses-tu ?
 
DIEU
- Moi. Oh, à rien.
 
LUCIE FER
- Alors, c’est d’accord ?
 
DIEU
- (Lassé) Oui. Va le chercher ton jeu.
 
LUCIE FER
- Super.
 
Lucie Fer trouve rapidement le jeu et sort la piste de sa boite. C’est un jeu de l’oie un peu modifié.
 
DIEU
- Mais où sont les dés ?
 
LUCIE FER
- Devine ?
 
DIEU
- Où ça ?
 
LUCIE FER
- ( Elle se colle à nouveau à Dieu) Quelque part sur mon corps brûlant de diablesse en feu. (Elle grogne)
 
DIEU
- Mais...
 
LUCIE FER
- Vas y, cherche les dés, Jéhovah ! Cherche. Il y en six, autant que j’ai de zones érogènes.
 
DIEU
- Quoi, tant que ça ?
 
LUCIE FER
- Allez ! Tripote moi, Jéhovah !Vas y ! Oh, oui. Ça fait une éternité que je ne me suis pas faite tripoter. Jéhovah, depuis le temps que j’attendais ce moment.
 
DIEU
- ( Il se dégage et recule) Mais tu es folle !
 
LUCIE FER
- (Elle avance) Non. Je suis complètement allumée !
 
DIEU
- (Il recule ) Au secours.
 
LUCIE FER
- ( Elle le poursuit ) Jéhovah, je te veux !
 
DIEU
- Au secours ! A moi ! Au viol !
 
LUCIE FER
- Hurle tant que tu veux mon petit Jéhovah. Personne ne t'entend. L'Univers est vide, je te violerai comme je veux, et ce n'est pas le Tétraêtre qui va m'en empêcher. On pourrait même avoir un enfant, dis.
 
DIEU
- (Il se dégage de l’étreinte de Lucifer) Ah ! Quelle horreur ! Non mais ça ne vas pas ! Tu n’y penses pas ! J'ai de l'affection pour toi, Lucie, mais il ne faut pas exagérer. Quand même, je tiens à ma réputation.
LUCIFER
- Mais quelle réputation ? Il ne reste plus que nous. Il n’y a plus personne. Il n’y a plus rien.
 
DIEU
- Un enfant de toi ! Tu imagines la catastrophe ?
 
LUCIE FER
- Au moins, on ne s’ennuierait plus.
 
DIEU
- Ça c’est sûr. Avec une pareille abomination, je risque d’en passer, de blanches éternités.
 
LUCIE FER
- Mais ce sera une aventure formidable. (Elle se rapproche de Dieu) Toi, moi, une folle éternité d’amour, notre enfant, nos enfants, puis... (Elle lui touche un bouton de chemise)
 
DIEU
- Vade retro Satanas !
 
LUCIE FER
- Enfin, je ne t’excite pas ? Tu me trouves moche ?! C’est ça ? Ce sont mes cornes ? Ma queue fourchue ? A moins que ce ne soit mon odeur de soufre qui te dérange ?
 
DIEU
- Mais non. Mais non. Tu ne peux pas comprendre. J’ai pris des engagements.
 
LUCIFER
- Des engagements ! Mais auprès de qui ?! Je te répète qu’on peut faire ce que l’on veut puisqu’il n’y a plus que nous deux.
 
DIEU
- (Il montre le Tétraêtre) Et lui ?
 
LUCIFER
- Lui ! Lui ! J’en ai marre de lui. Depuis qu’il est là, on n’a plus rien à foutre. On se fait chier comme deux pauvres diables dans un cadeau sans surprise.
 
DIEU
- Chut ! Ne soit pas si grossière, et parle moins fort, il va nous entendre.
 
LUCIE FER
- Je m’en fous comme du millénaire cent quarante. Quand tu penses que je n'ai même pas réussi à lui faire avaler ne serait ce qu'un soupçon de perversion, c'est tout dire.
 
DIEU
- En effet.
 
LUCIE FER
- Si au moins tu n'avais pas renvoyé tout le monde, on pourrait encore s'amuser.
 
DIEU
- Oui. C'est vrai, on s'ennuie à mourir. Je n'ai même plus le doux plaisir de me faire martyriser par ma femme.
 
Court silence
DIEU
- L'éternité se fait de plus en plus longue, de plus en plus triste.
 
LUCIE FER
- Ouais.
 
Très long silence.
 
LUCIE FER
- Mais, par l'Enfer, il doit bien y avoir quelques maux à faire pour combler ce vide stressant, cette éternité interminable.
 
DIEU
- Non. Il n'y a rien. (Il boit une gorgée de vin)
 
LUCIE FER
- Mais fais quelque chose, toi !
 
DIEU
- J'ai tout essayé. (Il boit une gorgée de vin)
 
LUCIE FER
- Mais non, ce n'est pas possible que tu ne puisses rien faire. Tu es Dieu.
 
DIEU
- Sans doute. (Il boit une gorgée de vin)
 
LUCIE FER
- Comment ?
 
DIEU
- Sans doute. Peut-être. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Qui suis-je ? C'est vrai, qui le sait. Je ne suis peut-être qu'un vide informe flottant parmi les vides, un caprice du Néant. (Il boit une gorgée de vin)
 
Long silence
 
LUCIE FER
- Quelle larve ! Comment a-t-il pu descendre aussi bas ?
 
Dieu boit une gorgée de vin.
 
LUCIE FER
- Minable. Quelle fin minable.
 
Dieu boit une gorgée de vin.
 
LUCIE FER
- Non. Je ne peux pas supporter ça une éternité de plus. Il faut que je m'en aille. Où ? Je ne sais pas , mais je dois quitter cet Univers stérile avant qu'il ne soit trop tard. Je ne veux pas finir dans le même état.
 
Lucie Fer se dirige vers un cercueil qu'elle ouvre et referme pour en sortir un petit baluchon qu’elle suspend au bout d'une fourche. Elle pose la fourche sur son épaule et vient se placer sur le bord de la scène pour faire du stop.
Long silence.

 

 

 

15 décembre 2011

ACTE 3, Scène 4

 DIEU
- Lucifer, je te présente le Tétraêtre !
 
LUCIE FER
- C'est quoi cette bestiole ? Tu te lances dans l'art moderne maintenant ?
 
DIEU
- Restons calme. Surtout restons calme. Ceci, mademoiselle l'ignare des profondeurs, est la plus grande oeuvre qui n'ait jamais été donnée à Dieu de réaliser. Ceci, ma chère Lucifer, c’est l'être parfait.
 
LUCIE FER
- Rien que ça.
 
DIEU
- Au premier abord, ce n'est qu'un gros tétraèdre, mais c'est déjà le premier, le plus simple, et le plus régulier volume de l'espace.
 
LUCIE FER
- Ah bon.
 
DIEU
- Mais ceci est beaucoup plus qu'un polyèdre.
 
LUCIE FER
- Tiens donc.
 
DIEU
- Car ceci, pense.
 
LUCIE FER
- (Elle éclate de rire) Tu me fais bien rigoler. Soit tu délires, soit tu veux me faire marcher. Je ne suis peut-être qu'une pauvre diablesse, mais je ne suis pas idiote. Comment veux tu qu'un vulgaire morceau de diamant taillé puisse être doué de l'intelligence. C'est absurde.
 
LE TETRAETRE
- Ce n'est pas si absurde que cela.
 
LUCIE FER
- Mais... C'est... C'est le caillou qui vient de parler ?
 
LE TETRAETRE
- Parfaitement. Et veuillez avoir un peu plus d'égards pour ma personne. Je suis plus qu'un simple caillou tout de même.
 
LUCIE FER
- (A Dieu) Allez. C'est une blague. Il y a un truc. Hein ? Tu as planqué quelqu'un à l'intérieur, dis ?
DIEU
- Absolument pas. Et tu sais bien que j'ai licencié tout le monde. Il ne reste plus que nous deux... Heu, je veux dire nous trois.
 
Lucie Fer soulève le Tétraêtre, et le touche un peu partout.
 
LUCIE FER
- Ca c'est ce que tu dis, mais je suis sûr qu'il y a quelqu'un dedans. Il doit y avoir une trappe quelque part.
 
Lucie Fer ne trouve rien.
 
LUCIE FER
- Ben mince alors. C'est diabolique.
 
DIEU
- Je n'irai pas jusque là, mais c'est vrai que c'est assez génial. Je ne suis pas peu fier.
 
LUCIE FER
- Là, pour une fois tu m'épates. Ca n'a l'air de rien, comme ça mais... (Elle tapote une face du Tétraêtre)
 
LE TETRAETRE
- Cessez de me tripoter avec vos mains sales ! Vous perturbez les liaisons atomiques de mes mailles élémentaires.
 
LUCIE FER
- Oh ! Pardon. J'ignorais que môssieur était sensible par dessus le marché.
 
DIEU
- Et oui, ma chère Lucifer, cela t'étonne qu'un cristal comme celui-ci, apparemment inanimé, puisse être pourvu d'une certaine sensibilité tactile. Mais tu n'as pas fini d'être surprise. Par exemple, sais-tu que ce n'est pas une entité simple ?
 
LUCIE FER
- Que vas-tu encore me sortir ?
 
DIEU
- C'est, en fait, une entité complexe, constituée d'une quantité phénoménale, mais bien déterminée, d'êtres pensants, correspondant chacun à une maille du cristal. Le tout compose un ensemble d'intelligences organisées et hiérarchisées de façon à produire une pensée finale absolue. De plus, ce cristal est structuré de manière démocratique. En effet, si le sommet du Tétraêtre représente la maille dominante, et la base, l'ensemble des mailles dominées, il suffit de faire reposer le Tétraêtre sur une autre face pour que ce qui dominait devienne dominé, et que ce qui était dominé devienne dominant. Tu suis ?
 
LUCIE FER
- Oui. Oui. Domina, dominum est.

DIEU
- Si tu veux, je peux recommencer mes explications.
 
LUCIE FER
- Non. Non. Ca va. Tu me passionnes. Continue.
 
DIEU
- Bien. Mais ce qui fait de cette créature la plus parfaite de toutes, est son extraordinaire faculté à se dégager enfin complètement des servitudes de la nécessité. Sa seule fonction est la pensée. En effet, comme tout être minéral, elle ne vit ni ne meurt, et par conséquent, boire, manger, bouger, se reproduire ne lui sont absolument d'aucune utilité pour assurer son existence.
 
LUCIE FER
- Et d'où vient son énergie ? Pour penser, il lui faut bien dépenser de l'énergie.
 
DIEU
- Oui, mais si peu que la lumière des étoiles suffira amplement. Tu vois, j'ai pensé à tout.
 
LUCIE FER
- Je vois. (En aparté) Mais, moi, son tétramachin commence à me faire peur.
 
DIEU
- Pour résumer, tu as devant toi l'esprit le plus pur et l'intelligence la plus fine, sous une forme inerte, inaltérable et surtout, incorruptible.
 
LUCIE FER
- La vache !
 
DIEU
- Je t'en prie.
 
LUCIE FER
- En es-tu sûr ?
 
DIEU
- Parfaitement.
 
LUCIE FER
- C'est ce qu'on va voir. Tu me laisses faire un petit contrôle technique de ton tétramachin. (Au Tétraètre) Connais-tu les 7 péchés capitaux mon petits ?
 
LE TETRAETRE
- Bien entendu.
 
LUCIE FER
- Bien. Alors tu ne vois pas d'inconvénient à ce que nous fassions une petite révision ?
 
LE TETRAETRE
- Je suis prêt
 
LUCIE FER
- Pour commencer: La Paresse ! (Lucie Fer enlève sa chaussure). Tu la vois ma chaussure. Parfait Alors maintenant: va chercher ! (Elle lance la chaussure). Allez, j'attends. Va chercher, j'ai dit ! Alors qu'est ce que tu attends ? Tu vas aller me la chercher cette savate ?!
 
LE TETRAETRE
- Non.
 
LUCIE FER
- Non ! Voilà. Un à zéro pour moi. Je le savais, tu es un gros fainéant. Ça se voit du premier coup d'oeil. La manière pyramidale que tu as de te tenir: genre gros pacha qui attend qu'on lui fourre les bonbons dans le bec.
 
LE TETRAETRE
- Non. D'abord, ce n'est pas demandé très gentiment et d'autre part cette opération de récupération n'a aucun intérêt pour moi.
 
LUCIE FER
- Ah là, je vois une faille ! Ne faire que ce qui nous intéresse, n'est il pas une forme de paresse ?
 
LE TETRAETRE
- Non. Simple logique de gestion d'énergie.
 
LUCIE FER
- MOuais. Bon ok ! Je vais t'accorder une autre chance. Un truc simple: voyons.... Oui c'est ça... Tu vas me compter toutes les étoiles de l'univers.
 
LE TETRAETRE
- Cent quatre vingt neuf mille deux cent quarante milliards puissance un milliard huit cent mille sans compter les naines rouges et les trous noirs.
 
LUCIE FER
- Et c'est tout. C'est déjà fini ? C'est une estimation ou un compte précis ?
 
LE TETRAETRE
- Un compte précis à l'instant ? Je peux les recompter, si vous voulez, le résultat change à chaque seconde.
 
LUCIE FER
- Non c'est bon. J'en ai assez. T'as gagné. On va passer au péché suivant: l'Orgueil ! Une question classique. Es tu intelligent ?
 
LE TETRAETRE
- Assurément.
 
LUCIE FER
- Es tu l'être le plus intelligent de l'Univers ?
 
LE TETRAETRE
- Certainement.

LUCIE FER
- Orgueil ! Orgueil que voici ! En disant cela, tu te prétends au-dessus de dieu lui même. Te rends tu compte ? C'est limite blasphématoire. En d'autre temps, on t'aurait brûlé pour moins que ça. Tu es vraiment l'être le plus orgueilleux que j'ai jamais vu. Tu as perdu ! Quand même, Jéhovah, tu entends ça: l'être le plus intelligent de l'Univers. J'aurais tout entendu.
 
LE TETRAETRE
- Non. Simple réponse logique. Je suis le dernier être pensant de l'univers. C'est plutôt facile.
 
LUCIE FER
- Et que faites vous de Dieu.
 
LE TETRAETRE
- Dieu est le créateur de l'Univers. Il est la force ultime qui fait et défait. Il est le tout dont je fais parti, mais il n'est pas un élément.
 
LUCIE FER
- Soit. Argument imparable. Tu as gagné. Et ça commence à m'énerver. Passons au troisième péché ! La gourmandise ! Là, je gagne à tous les coups. (Elle sort une pomme de sa poche) Tu as vu ça joli Tétraêtre. C'est le fruit défendu. Tu ne trouves pas qu'il a l'air appétissant.
 
LE TETRAETRE
- Non.
 
LUCIE FER
- Non ?
 
LE TETRAETRE
- Non.
 
LUCIE FER
- Tu ne sais pas ce que tu perds. Tu verras, quand tu auras mordu la dedans, tu découvrira un tas de choses. Tu seras extralucide.
 
LE TETRAETRE
- Je suis déjà extralucide.
 
LUCIE FER
- Ben c'est bien ma veine. Tu ne veux vraiment pas de ma pomme ?
 
LE TETRAETRE
- Non.
 
LUCIE FER
- Non ? Vraiment.
 
LE TETRAETRE
- Non. Je n'en ai que faire. Combien de fois devrais-je le répéter ?


LUCIE FER
- Allez mange. Tu vas voir comme c'est bon de pêcher un peu (Elle plaque la pomme contre une face du Tétraêtre) Saloperie, bouffe ! Je vais t'en faire avaler du vice, moi, tu vas voir (Elle tente de presser la pomme sur le sommet du Tétraêtre) Mais tu vas la bouffer cette pomme, Nom de Dieu (Elle trépigne)
 
LE TETRAETRE
- Mais arrêtez la, Seigneur ! Elle est en train de me souiller.
 
DIEU
- Lucifer. Arrête. Tous tes efforts sont vains. Tu te ridiculises à t'entêter comme ça.
 
LUCIE FER
- Non ! ce n'est pas possible. Je n'abandonnerai pas ! Quatrième péché capital: la Luxure ! Là, je suis imbattable ! (Elle enlève sa robe et son tablier et se retrouve en dessous sexy de couleur rouge).
 
DIEU
- Seigneur, elle va remettre ça
 
LUCIE FER
- Alors mon chou, comment me trouves tu ? C'est ce qui se fait de mieux sur le marché de la luxure ? (Elle commence à caresser le Tétraêtre puis à se frotter dessus) Jambes qui n'en finissent pas. Seins à damner les saints. Cul de rêve à la brésilienne. Peau perpétuellement ambrée; spécialement dorée au four. Tempérament volcanique... Bref, je suis là bombe ultime. La chienne qui réalisera tous tes fantasmes... Vas y . Laisse toi aller. Ordonne et j'obéirai...
 
LE TETRAETRE
- Alors dégage !
 
LUCIE FER
- Quoi ? Tu sais à qui tu parles, là ! Je suis Asmodée, la reine de la luxure, le fantasme de la création, la lubrique des lubriques... et je te laisse de marbre ?
 
LE TETRAETRE
- Non. Pas tout à fait. Vos singeries m'agacent.
 
LUCIE FER
- Ca, ça casse la libido (elle se relève). Bon. Ok ! Encore un point pour toi. Passons à autre chose: l'Avarice ! Bouge pas, je reviens ? (elle part en coulisse)
 
DIEU
- Elle est teigneuse hein ?
 
LE TETRAETRE
- Oui. Vivement qu'on en finisse et qu'elle se rende à l'évidence.
 
Lucie Fer revient avec un diable chargé de lingots d'or.
 
LUCIE FER
- Voilà. Je te fais une proposition: tous ces lingots d'or et tu disparais de mon éternité à tout jamais.

LE TETRAETRE
- Mais que voulez vous que j'en fasse ? L'or, l'argent, tout cela n'a plus aucun sens lorsqu'on est seul dans l'univers.
 
LUCIE FER
- Oui. C'est juste. L'avarice est un péché obsolète. J'aurais du y penser et le remplacer par un autre. Tant pis. Aller, garde tout quand même. Sixième péché capital: la Colère. Tu veux que je te dise espèce de tétrachic ? T'es qu'un pauvre tocard? Une brêle ! Une limace !
 
 
LE TETRAETRE
- Même pas mal !
 
LUCIE FER
- Un objet de foire ! Un bric à brac ! Un machin !
 
LE TETRAETRE
- Même pas mal !
 
LUCIE FER
- Une merde ! Une crotte ! Un excrément !
 
LE TETRAETRE
- Très drôle !
 
LUCIE FER
- Ouais, et ben toi, t'es vraiment pas drôle ! Mais c'est pas vrai ! Y'a rien qui t'énerve ! Et si je te pisse dessus ! (elle passe derrière le Tétraêtre)
 
LE TETRAETRE
- (Calmement) Vous êtes immonde et pitoyable.
 
LUCIE FER
- (Elle ressort de l'arrière du Tétraêtre avec une masse) Et si je te casse la gueule, tu me trouves toujours aussi conne ! (elle commence à taper dessus) Je vais te refaire le portrait moi ! Je vais te la faire passer ta zen attitude ! Quand tu ne seras qu'un tas informe de gravas, je te ratisserai comme le gravier d'un temple japonais !
 
Elle tape tant et plus mais rien ne bouge. Elle finit par s'arrêter, épuisée, puis elle s'assoie adossée au Tétraêtre.
 
LUCIE FER
- J'abandonne.
 
DIEU
- Et l'envie, la dernière tentation ?
 
LUCIE FER
- C'est inutile. Je ne me fais pas d'illusion. Il a gagné. Vous avez gagné. (Silence) Mais que vais-je devenir ?
DIEU
- Prends un peu de repos.
 
LUCIE FER
- Je ne peux pas. Je ne pourrais pas. Je suis un esprit agité. Si je ne m'agite pas, j'explose ! Aimerais tu voir des morceaux de Lucie Fer éparpillés aux quatre coins de l'Univers ?
 
DIEU
- Allons. Calme toi, tu exagères.
 
LUCIE FER
- Non. Je n'exagère pas ! Ta nouvelle excentricité va encore nous mener à la catastrophe ! Je te préviens, Jéhovah, c'est le tétraêtre ou moi !
 
Le Tétraêtre se met soudain à bourdonner.
 
LUCIE FER
- Qu'a-t-il encore, celui là ?
 
DIEU
- Chut ! Calme toi Lucifer. Assis-toi par terre et écoute. Le Tétraêtre va donner sa première conférence à ses mailles élémentaires. Ecoute.
 
LUCIE FER
- Je refuse
 
DIEU
- Comme tu voudras.
 
Dieu s'allonge sur le ventre, pour écouter le Tétraêtre.
 
DIEU
- Captivant, ne trouves-tu pas. L'Esprit à l'état pur. La science sans ses déviances. La philosophie sans ses utopies. La vie sans la mort. Quel repos. Plus de souci. Plus d'angoisse. Plus de risque d'apocalypse. Enfin les vacances.
 
LUCIE FER
- (Peu convaincue) Comme tout cela est follement excitant.
 
 
Rideau

 

15 décembre 2011

ACTE 3, Scène 3

La porte d'entrée du théâtre s'ouvre et tous les personnages de la pièce entrent en une longue file menaçante. Les ordinateurs apôtres sont placés sur des chariots tirés par des anges. Lucie Fer court aussi vite qu'elle le peut vers l'échelle.
 
LUCIE FER
- Jéhovah !
 
DIEU
- Oui ! Ne me dérange pas, je n'ai pas fini.
 
LUCIE FER
- Descends vite ! Ils arrivent ! Et je te préviens, ils ne sont pas contents.
 
DIEU
- Comment, ils ne sont pas contents !
 
LUCIE FER
- Ecoute donc !
 
LES DOUZE APOTRES
- Non aux licenciements ! Non aux licenciements ! Non aux licenciements ! Non aux licenciements ! Non aux licenciements !
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Nous voulons des explications !
 
LES ONZE APOTRES
- Nous voulons des explications ! Nous voulons des explications ! Nous voulons des explications ! Nous voulons des explications ! Nous voulons des explications ! Nous voulons des explications !
 
Dieu apparaît.
 
DIEU
- Que se passe-t-il ? C'est la révolution ?!
 
UN APOTRE
- C'est un scandale ! Nous protestons !
 
GABRIEL
- C’est impensable ! Après toutes ces années et ces siècles de bons et loyaux services à vos côtés, comment osez-vous, nous faire licencier comme cela, avec cette brutalité et sans préavis ?
 
UN APOTRE
- Et annoncé par le Diable, en plus !
 
TERMINAL TERMINAL SAINT PIERRE
- Qu'on nous explique, au moins, pourquoi vous nous renvoyez !
 
LES ONZE APOTRES
- Oui ! Pourquoi ?!

DIEU
- Mais parce que nous n’avons plus besoin de vous, tout simplement.
 
GABRIEL
- Qui ça, nous !
 
DIEU
- Belle Zébuth, et moi.
 
MARIE
- (Furieuse) Tu as pactisé avec cette diablesse !
 
GABRIEL
- Qu'allez vous faire de nous ?
 
DIEU
- Je vais vous anéantir !
 
Long silence. Tous se regardent médusés.
 
UN APOTRE
- C'est inconcevable !
 
UN AUTRE APOTRE
- C'est inadmissible !
 
MARIE
- C’est intolérable ! (A Lucifer) Je suis sûr que tout cela est encore à cause de vous. Vous êtes d’une perversité diabolique. (A Dieu) Mais enfin, Jéhovah, tu ne vois pas que c’est elle qui t’inspire depuis le début. Elle est la cause de tous nos malheurs. (A Lucifer) Quand aurez vous fini de semer le mal ?
 
LUCIE FER
- Jamais. C’est mon métier, madame.
 
MARIE
- Mon Dieu ! Quelle horreur ! Mais, Jéhovah, c’est elle qu’il faut anéantir !
 
Dieu la regarde amusé, mais ne dit mot.
 
MARIE
- Tu ne dis rien ! Tu ne fais rien ! Alors je vais me charger moi même d’expédier ce démon au néant ! (Elle s’accroche à Lucie Fer qui se débat)
 
JESUS
- Maman !
 
 DIEU
- Tout cela n’a que trop duré. Gardes, emparez vous d’elle !
 
GABRIEL
- Enfin, vous retrouvez la raison. Gardes, en avant !
 
Gabriel et quelques anges gardiens saisissent Lucifer.
 
LUCIE FER
- Suppôts ! A moi ! Défendez votre maîtresse !
 
Des Suppôts de Satan surgissent de partout. La bataille s’engage entre les forces du mal et les forces du bien. Dieu reste immobile.
 
MARIE
- Allez! Courage ! Battez vous mes anges ! C’est l’ultime combat du bien contre la mal ! La victoire est certaine ! Dieu est avec nous !
 
DIEU
- (D’une voix tonitruante qui cloue tous les combattants sur place) Sûrement pas !
Tous les combattant s’arrêtent, médusés.
 
DIEU
- Je crains que vous n’ayez pas bien compris mon ordre. C’est Marie que je demande que l’on arrête !
 
MARIE
- Mais Jéhovah !
 
JESUS
- Papa, tu ne vas tout de même pas ...
 
DIEU
- Personne ne m’indique ce que je dois faire ! Gabriel, libérez Lucie Fer et débarrassez-moi de Marie !
 
GABRIEL
- Je refuse ! Jamais je ne ferais une chose pareille (Il saisit Lucie Fer et plaque un revolver contre sa tempe) Belle Zébuth est mon otage ! Marie ! Jésus ! Venez à moi.
 
LUCIE FER
- Jéhovah!
 
DIEU
- Mais c’est une mutinerie ! (Hors de lui) Gabriel, vous commencez à me friser les moustaches. Je vais me fâcher. Gardes emparez vous de lui ! Emparez vous de ma femme ! Emparez vous de mon fils ! Et expédiez moi tout ça au néant, immédiatement !
 
Les Suppôts de Satan se pressent vers le groupe, mais les anges gardiens hésitent.
 
GABRIEL
- N’approchez pas ou je lui fais sauter la cervelle !

DIEU
- Allez y donc, elle n’attend que ça !
 
GABRIEL
- Vous l’aurez voulu !
 
Gabriel tire, mais Lucie Fer au lieu de tomber inanimée, le regarde sans bouger avec un large sourire.

GABRIEL
- Mais...
 
DIEU
- Alors, Gabriel, vous semblez avoir oublié que le mal est éternel.
 
GABRIEL
- (Il baisse son arme) Je suis un minable.
 
Lucie Fer embrasse soudainement et furieusement Gabriel sur la bouche.
 
LUCIE FER
- Mais non, moi au contraire, je t'ai trouvé formidable. Comme tu avais l'air méchant, Gabriel, je t'adore. (Elle l'embrasse à nouveau)
 
GABRIEL
- (Il rejette violemment Lucifer) Pouah, C'est répugnant. (Il titube) Mais qu'est ce qui m'arrive. Ma tête... Ah. (Il s'écroule)
 
MARIE
- Gabriel ! Qu'avez vous ! Vous sentez-vous mal ? (Elle se penche sur Gabriel) Gabriel !
 
JESUS
- Gabriel, dites quelque chose.
 
GABRIEL
- Rhaaaa arg.
 
JESUS
- Il doit être diablement intoxiqué.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Hydrogène sulfuré, monoxyde de carbone, chlorure d'hydrogène, dioxyde de soufre et méthane.
 
JESUS
- Un étouffe chrétien particulièrement efficace.
 
DIEU
- Il va dormir pendant une bonne éternité. (Aux anges gardiens) Allez, gardes, embarquez moi ces révolutionnaires !

UN ANGE GARDIEN
- Mais...
 
DIEU
- C'est un ordre ! Exécution !
 
Les anges gardiens s'emparent de Gabriel, de Marie et de Jésus.
 
JESUS
- Il a pété les plombs !
 
GABRIEL
- (Inanimé dans les bras des anges) Argeu.
 
DIEU
- Jetez-les au Néant.
 
MARIE
- Jéhovah, tu es malade !
 
Les anges exécutent les ordres. Les victimes poussent un dernier cri qui se perd dans le Néant infini.
 
DIEU
- Cette affaire étant maintenant réglée, occupons nous de vous. (Il se dirige vers les douze apôtres)
 
Les douze apôtres entourés de suppôts de Satan et d’Anges Gardiens n’osent pas bouger.
 
DIEU
- Ne tentez pas de fuir ! Vous ne pouvez rien contre ma divine toute puissance ! Où que vous alliez, je vous retrouverai, jusque dans les moindres bourrelets de l'Espace-temps. Alors, soyez gentil; les anges et les suppôts, vous me rendez vos ailes et vos auréoles, vous prenez votre bénédiction avant de partir et vous disparaissez. Mais avant, vous me ferez le plaisir de jeter toute cette ferraille de microprocesseurs catholiques à la casse. Dépêchez-vous, je suis pressé.
 
Les anges et les suppôts de Satan jettent un par un les ordinateurs au Néant.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
(passant devant Dieu dans les bras d'un ange)
- Seigneur, je ne comprends vraiment pas ? Aurions-nous fait quelque chose de mal ?
 
DIEU
- Mais non, mon brave Saint Pierre. Vous avez été très bien. Mais voila, c'est malheureux, vous êtes dépassés, obsolètes. Alors vous ne me servez plus à rien. Buy buy. Jetez le.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Mais je...
 
DIEU
- Les machines, ça ne discute pas les ordonnances divines ! Dehors !
 
Le terminal Saint Pierre est jeté au Néant.
 
UN APOTRE
- Je...
 
DIEU
- Dehors ! J'ai dit.
 
L'ordinateur est expédié promptement au Néant.
 
DIEU
- Allez pressons ! Je n'ai pas que cela à faire.
 
Lorsque tous les ordinateurs ont disparu.
 
DIEU
- Parfait. (Il se retourne vers les anges et les suppôts) Messieurs, mesdames, c'est votre tour. Les ailes et les auréoles c'est pour Lucifer. Les bénédiction, c'est moi.
 
Les Anges Gardiens et les Suppôts de Satan disparaissent laissant Dieu et Lucie Fer seuls sur scène.
 
DIEU
- Ha ! Enfin peinard !
 
LUCIE FER
- Je trouve que tu y vas un peu fort quand même.
 
DIEU
- Mais non. Tu te fais des idées. Et maintenant suis moi. Je vais t'impressionner.
 
LUCIE FER
- Là, permets moi de douter.
 
DIEU
- Hé ! Là haut ! Descendez-moi mon oeuvre et que ça saute !
 
Silence.
 
DIEU
- Alors ? Qu'attendez vous bandes d'escargots ? Le déluge ?
 
LUCIE FER
- Jéhovah, je ne voudrais pas te vexer, mais il me semble que tu as mis tout le monde à la porte.
 
DIEU
- (Il se frappe la tête) Je suis un abruti.
 
LUCIE FER
- Ce n'est pas nouveau, mais ça s'aggrave.
 
DIEU
- J'ai peut-être fait les choses un peu trop vite. Je vais devoir aller le chercher moi même.
 
Il grimpe à l'échelle et disparaît. Silence. Lucie Fer regarde tour à tour le public et le plafond. Soudain, on entend un grand fracas.
 
DIEU
- Et zut ! Ca ne passe pas. Je vais devoir faire le tour par le purgatoire.
 
LUCIE FER
- Mais qu'est-ce qu'il nous a encore bricolé ?
 
Court silence. Dieu entre par la porte des spectateurs en portant un énorme tétraèdre noir qu'il pose au milieu de la scène.

 
15 décembre 2011

ACTE 3, Scène 2

LUCIE FER
- Gné ?! (Elle s'empare d'un trident) Enfer et damnation ! Suprême malédiction ! (Elle se dirige vers l'entrée du théâtre) Qui va là, ici bas ?
 
DIEU
- (Il chuchote) C'est moi.
 
Lucie Fer
- Qui ça, moi ?
 
DIEU
- Et bien, moi.
 
LUCIE FER
- Mais qui moi ? Ca peut être n'importe qui.
 
DIEU
- Tu ne reconnais pas ma voix .
 
LUCIE FER
- Non ? C'est toi Jéhovah ! (Elle ouvre)
 
DIEU
- Chut. Pas si haut. (Il entre dissimulé sous une cape et portant une lanterne) Je suis venu incognito.
 
LUCIE FER
- Oh ! Oh ! Et dans quel but descends-tu aussi tôt ? Tu veux m’inviter au resto.
 
DIEU
- Au resto. Avec toi ! Mais tu n’y penses pas. Que diraient les anges ? Non, non, ce n’est pas pour ce genre de délicatesse.
 
LUCIE FER
- Ah bon. Alors, pourquoi viens-tu me déranger en plein travail ?
 
DIEU
- Je voulais savoir si tu avais déjà commencé à griller tout le monde.
 
LUCIE FER
- Ah ! Hé ! Oh ! Faudrait savoir ce que tu veux à la fin. Je les fais rôtir, oui ou non ?
 
DIEU
- Oui... Mais peut-être pas tout de suite. Je me demande si...
 
Lucie Fer
- Si quoi ?
 
 
DIEU
- Oh rien.
 
LUCIE FER
- Si. Il y a quelque chose. Dis-moi ? Aurais-tu des remords ? Des doutes ?
 
Dieu ne répond pas et baisse la tête.
 
LUCIE FER
- Non ? C'est pas vrai.
 
DIEU
- Crois-tu que nous pourrions en sauver quelques unes ?
 
LUCIE FER
- Foi de Lucie Fer, ce n'est pas impossible, mais cela me surprendrait. J'ai le coup d'oeil, crois-moi. Cela fait une éternité que j'exerce le métier de diable, et je n'ai jamais vu pareil ramassis d'âmes fétides.
 
DIEU
- A ce point. Parole ?
 
LUCIE FER
- Parole. Enfin pour ce que ça vaut une parole de diable. Mais tu peux toujours faire le tour des âmes damnées du quartier si ça te chante. Vas y ! Fais comme chez toi !
 
DIEU
- Merci.
 
Lucie Fer débouche la bouteille de vin apportée à la scène II et remplit son verre. Pendant ce temps Dieu arpente les gradins, auscultant à la manière d'un médecin quelques spectateurs choisis au hasard (l'acteur devra improviser) Après chaque auscultation, Dieu manifeste un dégoût évident qui va en s'amplifiant. Finalement, il renonce, prend un air abattu et regagne la scène où Lucie Fer l'attend assise sur un tonneau, en fumant calmement un gros cigare et en trempant ses lèvres dans le verre de vin de messe.
 
LUCIE FER
- Alors ?
 
DIEU
- Un whisky de messe bien tassé.
 
LUCIE FER
- Avec ou sans eau bénite ?
 
DIEU
- Sans. Je suis à la diète.
 
LUCIE FER
- C'est parti.
 
Lucie Fer verse le whisky dans un verre, tandis que Dieu prend place autour du tonneau, sur un tabouret. Dieu boit quelques gorgées puis Lucie Fer l'interrompt.
 
 
LUCIE FER
- Et bien ?
 
DIEU
- Excellent.
 
LUCIE FER
- Excellent ?!
 
DIEU
- Oui, il est excellent ton whisky.
 
LUCIE FER
- Je te remercie, mais... mais que fais-tu ?
 
Dieu prend un cigare dans la boite que Lucie Fer a laissé traîner sur la table.
 
DIEU
- Je t'emprunte un cigare. Tu permets ? Pourrais-tu me donner du feu, s'il te plaît ?
 
LUCIE FER
- Du feu ? Ma foi oui, je crois que c'est dans mes cordes. (Lucie Fer enlève son casque et tend à Dieu l'extrémité équipée d'une lampe à acétylène) Voilà.
 
DIEU
- Merci.
 
Un court silence s'installe dans la salle, Lucie Fer, atterré, regarde tour à tour, dieu en train de fumer et de boire, et le public.
 
LUCIE FER
(au public)
- Dieu est un fumeur de havanes. On aura tout vu.
 
DIEU
- Comme c'est bon.
 
Court silence.
 
LUCIE FER
- Alors ?
 
Court silence.
 
DIEU
- Alors, tu avais raison. C'est dégouttant, immonde, affreux, horrible, monstrueux, terrifiant, effroyable, catastrophique, épouvantable, ignoble, abominable, infernal, démoniaque, diabolique, satanique...
 
LUCIE FER
- Ben, mon vieux, je ne t'ai jamais vu dans un état pareil. Tu dois être vraiment bouleversé mon pauvre Jéhovah, pour déblatérer tant de grossièretés.
 
DIEU
- Que pourrait-il m'arriver de pire ? Dis-moi ?
 
LUCIE FER
- Allons, tu dramatises.
 
DIEU
- Mais enfin, rends-toi compte ! Rien ! Il ne me reste rien ! Parmi toutes ces âmes imbibées de crasse je n'ai pu trouver un seul saint. (Un temps) Et maintenant je reste seul. Abandonné.
 
LUCIE FER
- Allons, je suis là moi.
 
DIEU
- Il n'y a même plus personne pour croire en moi. (Un temps) Suis-je encore celui que je prétends être?
 
LUCIE FER
- Mon gars, je crois que tu as besoin d'au moins un demi-siècle de vacances. Tiens ! Pourquoi n'irais-tu pas à la pêche aux pulsars, ou à la chasse aux neutrinos, dans une galaxie déserte de l'Univers ? Ça te changerait les idées.
 
DIEU
- Ah, si cela ne tenait qu'à moi, je n'hésiterais pas.
 
LUCIE FER
- Et bien, pars donc prendre l'air. En attendant, je te remplace.
 
DIEU
- Non, c'est gentil de ta part. Mais je ne peux pas te faire confiance.
 
LUCIE FER
- Comment ? Depuis le temps qu'on se connaît.
 
DIEU
- Justement.
 
LUCIE FER
- Mais je suis l'innocence même.
 
DIEU
- L'innocence même ? Mon oeil. En apparence peut être, mais dès que j'ai le dos tourné, tu en profites pour faire des bêtises.
 
LUCIE FER
- Oh ! Quelle mauvaise foi.
 
DIEU
- Ah, oui ?. Prenons l'homme par exemple. Je suis persuadé, qu'au fond, ce n'était pas une mauvaise invention, si tu ne l'avais pas diaboliquement perverti.
 
LUCIE FER
- D'abord, ce n'est pas l'homme que j'ai perverti, mais sa femme.
 
DIEU
- Ne commence pas à jouer sur les mots.
 
LUCIE FER
- Si le Diable n'a plus le droit de jouer avec les maux, où allons-nous?
 
DIEU
- Ne me fais pas croire que tu n'a aucune responsabilité dans l'apocalypse.
 
LUCIE FER
- Aucune preuve ! (En aparté) Du travail de pro.
 
DIEU
- Ouais, tu fais toujours bien les choses. On n'y voit que du feu. (Il boit une gorgée de whisky)
 
LUCIE FER
- (En aparté) Hé ! Hé ! Hé ! Je ne suis pas le Diable pour rien.
 
DIEU
Pourquoi leur as-tu donné autant de pétrole ?
 
LUCIE FER
Ben, c'est bien toi qui m'a dit de faire le plein ? Et puis c'est quoi le problème ?
 
DIEU
Il sont devenu complètement acro. De l'héroïne pure dans le sang de leur économie. Ils ne se sont même pas rendus compte de leur niveau de dépendance. De vrai camés. Quand la ressource est venue à manquer. Ils ont paniqué.
 
LUCIE FER
Il leur fallait une bonne cure de désintoxication.
 
DIEU
Oui, mais il n'en ont pas eu le temps. Quand ils se sont rendus compte qu'ils avaient tout bousillé autour d'eux dans l'euphorie petronarcotique générale, ils ont sombré dans la déprime.
 
LUCIE FER
Et poum ! Une balle dans la tête ! Suicide général ! Ouaa ! J'imagine le feu d'artifice ! Toutes ces bombes nucléaires qui explosent en même temps ! La terre qui éclate ! Mars qui part en miette et Vénus qui fond ! Ce pied !
 
DIEU
- Le pied... C'est ça oui ... Tu es vraiment une ordure, c'est pas possible ! Et d'ailleurs, que faisais-tu le soir de la fin du monde ?
 
LUCIE FER
- Ola, ça ne va pas recommencer, hein ? L'inquisition, c'est terminé.
 
DIEU
- Réponds moi, Lucifer.
 
LUCIE FER
- Je faisais mon travail, comme d'habitude.
 
DIEU
- Comme d'habitude ?
 
LUCIE FER
- Comme d’habitude. Pas plus, pas moins.
 
DIEU
- Je m'en doutais. C'est bien ce que je pensais. Traîtresse !
 
LUCIE FER
- Ah ! Écoute; tu connais ma nature depuis des lustres. Tu sais bien que, pour moi, la trahison est un art de vivre. Alors ne me fais pas de faux procès, s'il te plaît.
 
DIEU
- Tu as raison. Tout ça est de ma faute. J'aurais dû te surveiller plus attentivement.
 
LUCIE FER
- Bah. Tu sais bien que je t’échapperai toujours.
 
DIEU
- Hélas. (Il boit une gorgée)
 
LUCIE FER
- Et maintenant que proposes-tu ? On ne va pas rester là, à se bourrer la pipe sans rien faire, jusqu'à la fin des temps, tout de même.
 
DIEU
- Je ne sais pas ? Je suis perplexe. Faut-il que je refasse le monde ? Et le puis-je encore ? La seule planète de l'Univers propice à la vie n'est plus qu'un halo de météorites poussiéreuses déambulant quelque part autour du soleil.
 
LUCIE FER
- Mais il ne tient qu'à toi de reconstruire la terre et de recréer la vie ! Aux dernières nouvelles tu es toujours le créateur de toute chose en ce monde. Non ?
 
DIEU
- Le créateur ! Ne m'en parle pas. Je suis complètement à court d'inspiration. Si je tente à nouveau l'expérience de l'intelligence humaine, je risque d'aboutir une fois de plus au désastre.
 
LUCIE FER
- Qui te le dit ? Si je n'y touche pas, peut-être que ça marchera.
 
DIEU
- Si tu n'y touches pas ?! Il faudrait, pour commencer, que tu puisses tenir une promesse.
 
LUCIE FER
- J'essayerai.
 
DIEU
- Non. Je ne peux pas prendre ce risque. De toute façon, même sans tes exactions, ce serait une catastrophe.
 
LUCIE FER
- Pourquoi dis-tu ça ?
 
DIEU
- Parce que l'intelligence humaine est d'un principe organique, et par conséquent, elle ne peut s'épanouir que libérée de la servitude de la nécessité.
 
LUCIE FER
- Et alors ?
 
DIEU
- Cela implique une inévitable domination du milieu environnant. Pire encore, c'est dans cette lutte même, contre la nature, que l'intelligence humaine trouve son fondement. Recréer ce type d'intelligence ferait courir un trop grave danger à l'équilibre du vivant.
 
LUCIE FER
- Pas forcement. Peut être qu'une certaine harmonie aurait pu être trouvée en fin de compte. S'il n'y avait pas eu l'apocalypse, qui sait ?
DIEU
- Non, l'intelligence et la nature sont décidément deux principes qui s'opposent. La fin du monde était inéluctable, dès que l'intelligence s'est mise à dominer. Souviens-toi, nous avions frôlé la catastrophe avec les dinosaures pour des raisons analogues. Il a fallu que j'intervienne avant qu'il ne soit trop tard.
 
LUCIE FER
- Je me souviens effectivement. Alors, que faire ?
 
DIEU
- Je n'en ai pas la moindre idée ? Aide-moi.
 
LUCIE FER
- Je veux bien. Mais moi, tu sais, pour détruire je suis très forte; pour construire je suis moins douée.
 
DIEU
- Inverse ta manière de penser.
 
LUCIE FER
- Mouais, je vais essayer, mais je ne garantis rien.
 
Court silence.
 
LUCIE FER
- Renonce à l'intelligence. C'est tout simple. Plus d'intelligence, plus de problème.
 
DIEU
- Tu appelles ça une pensée constructive, toi.
 
LUCIE FER
- Je fais ce que je peux. Elle ne te plait pas mon idée ?
 
DIEU
- Non, renoncer à l’intelligence, c’est trop facile. Tu crois que je n’y ai pas déjà pensé. On risquerait de s’ennuyer comme des remords.
 
LUCIE FER
- Alors recommence et recommence encore après chaque désastre. Au moins on s'amusera.
 
DIEU
- Non ! Je ne supporterai pas un autre échec.
 
LUCIE FER
- Alors je ne peux rien faire pour toi.
 
Long silence.
 
DIEU
- Réfléchissons. (Un temps) Si je veux garder l'intelligence, sans menacer la nature, tout en gardant l'un et l'autre, c'est très simple, il faut que l'intelligence se passe de la nature. Il faut qu'elle se définisse autrement.
 
LUCIE FER
- Après tout, la nature se passe bien de l'intelligence.
 
DIEU
- Très juste. Seulement pour en faire de même, il faudrait d'abord que l'intelligence puisse être sans naître. Et puis, il faudrait qu'elle soit autonome, un peu comme une plante, tu vois, mais sans faire d'échange avec le milieu vivant extérieur.
 
LUCIE FER
- Un peu comme un caillou quoi.
 
DIEU
- Comme un caillou. (Court silence) Mais tu sais que ce n’est pas idiot ça.
 
LUCIE FER
- Quoi ? Qu’est ce que j’ai dit ?
 
DIEU
- C’est même lumineux comme idée.
 
LUCIE FER
- Oulala ! Il me fait peur quand il dit ça.
 
DIEU
- Mais oui ! Bien sûr ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? C’est évident. Elle est là, la solution. Elle est là; dans l’intelligence minérale ! Ah ! Ah ! Dans mes bras Lucie Fer ! Dans mes bras ! Il faut que je t’embrasse. Tu es géniale !
 
Dieu serre Lucie Fer dans ses bras et tente de l’embrasser, mais elle le repousse.
 
LUCIE FER
- Ola. Attends. Qu’est ce que tu me racontes. Tu veux m’embrasser ? Moi ? Lucifer, Le Diable, Satan, Belle Zébuth et compagnie. Moi, l’être le plus malfaisant que l’on puisse croiser dans l’Univers ? C’est louche ça.
 
DIEU
- Ben non. Qu’est ce qu’il y a ? Je suis content, voilà tout.
 
LUCIE FER
- Regarde-moi dans les yeux. Ouvre la bouche. Fais-moi Ah. Mouais, tout est apparemment normal. Aurais-tu mangé de la vache folle, ces derniers temps ?
 
DIEU
- Non, bien sûr.

LUCIE FER
- Alors tu peux m’embrasser.
 
Lucie Fer ferme ses yeux et tend sa bouche, mais Dieu l’embrasse sur les joues.
 
LUCIE FER
- Ah ! C’est tout.
 
DIEU
- Qu’est ce que tu croyais ?
 
LUCIE FER
- Oh ! Rien. Une petite lueur ?
 
DIEU
- Bon. Eh bien moi, j’ai du pain sur la planche. Au travail. Alors, de quoi ai-je besoin ? D’abord d’un gros caillou. Lucifer, tu peux me trouver ça ?
 
LUCIE FER
- Evidemment ! Enfin ! Mais je veux d’abord savoir pour quoi faire.
 
DIEU
- C’est une surprise. Tu le sauras bien assez tôt. Je ne veux pas que tu mettes encore ton nez dans ma création. Sait-on jamais ce que tu pourrais encore trafiquer. (Il va au pied de l’échelle tout en parlant) D’ailleurs, je vais tout concevoir et réaliser dans mon laboratoire secret du Paradis. J’ai besoin d’un endroit complètement aseptisé de toute contamination diabolique. (Il commence à monter)
 
LUCIE FER
- Merci pour ta générosité. Enfin, c’est quand même mon idée à la base. Non ?
 
DIEU
- Justement, raison de plus.
 
LUCIE FER
- C’est pas juste.
 
Dieu s’arrête au milieu de l’échelle.
 
DIEU
- Allez, arrête de discuter. Je t’ai dit non, c’est non. Va me chercher un gros caillou.
 
LUCIE FER
- Tu veux quoi ?
 
DIEU
- Un bloc de graphite pur fera très bien mon affaire.
 
LUCIE FER
- Rien que ça. Non mais tu ne veux pas du diamant, des fois.
 
DIEU
- Du diamant, c’est une excellente suggestion. Va pour le diamant. (Il disparaît)
 
LUCIE FER
- J’aurais mieux fait de me taire. (Elle farfouille) De quelle couleur le diamant ?
 
DIEU
- (En coulisse) Noir avec des reflets bleus si possible.
 
LUCIE FER
- Et tu le veux pur et sans défaut, j’imagine !
 
DIEU
- (En coulisse) C’est une évidence.

LUCIE FER
- (Ironique) Comme c’est facile. (Elle farfouille) Noir avec des reflets bleus, mais il se moque de moi. Si ça se trouve, ça n’existe même pas. Ah ben si tiens, en voilà. Mais est-ce qu’ils sont purs ? Voyons l’étiquette: Diamant brut garanti sans impureté et sans défaut cristallin, couleur bleu nuit, origine mine de Magmalava, planète Pluton. Bon ça devrait lui convenir. Eh ! Jéhovah, j’ai trouvé ! Tu veux un morceau de quelle taille !
 
DIEU
- (En coulisse) Deux mètres cubes à peu près !
 
LUCIE FER
- Deux mètres cubes ! Il veut un diamant de deux mètres cubes, noir avec des reflets bleus, pur et sans défaut ! Il est fou ! Je ne vais jamais trouver un truc pareil ! Je me damne si ça existe. (Elle fouille) Je me damne ! Il y en a un. Alors là, chapeau, la richesse de l’Univers n’en finira jamais de me surprendre. (Elle le prend et l’amène sous l’échelle) Jéhovah ! Ca y est, je l’ai ! Tu n’as pas intérêt à te rater parce que c’est un exemplaire unique.
 
DIEU
- (En coulisse) Dieu ne rate jamais !
 
LUCIE FER
- Ca reste à voir.
 
DIEU
- (En coulisse) Trouve moi maintenant une masse et une barre à mine. Dans toute ta pagaille, tu dois bien avoir cela.
 
LUCIE FER
- (Cherchant le matériel demandé tout en grommelant) Pagaille ! Pagaille ! J'aimerais bien l'y voir, moi, s'il n'avait pas sa femme pour ranger ses affaires. Non mais, pour qui il se prend. (Un temps, puis elle revient en direction de l’échelle) Ca y est, j'ai ce qu'il te faut.
 
Lucie Fer reçoit en guise de réponse une corde sur la tête.
 
LUCIE FER
- Non mais ça ne va pas ? Ce sont des manières, ça ?
 
DIEU
- (En coulisse) Tais-toi donc et accroche tout à la corde.
 
Lucie Fer s'exécute et Dieu tire la corde.
 
DIEU
- Merci ! Hé ! Hé ! Hé !

LUCIE FER
- Mais qu'est ce qu'il fabrique ?
 
On entend le choc de la masse sur la barre à mine. Des éclats tombent sur la tête de Lucie Fer.
 
LUCIE FER
- Oh ! Eh ! Là haut ! As-tu fini de me bazarder tes morceaux de Paradis sur le coin de la gueule ?!
 
On entend un hurlement, et Dieu descend à toute vitesse.
 
DIEU
- Oulala ! Que ça fait mal ! Ouille ! Ouille ! Ouille !
 
LUCIE FER
- Je croyais que Dieu ne ratait jamais.
 
DIEU
- Oh ! Toi, ça va ! Hein !
 
Dieu extirpe d'une caisse plusieurs bâtons de dynamite et un casque de chantier dont il se coiffe. Il remonte ensuite rapidement à l'échelle.
 
LUCIE FER
- (Elle crie) Eh ! Attends, Jéhovah ! Attends ! (Dieu disparaît) Tous à couvert ! Le ciel va nous tomber sur la tête ! Et Dieu avec ! (Elle plonge dans la marmite)
 
Il se produit une violente explosion. Des blocs de pierre et le casque de Dieu tombent et rebondissent sur la scène, accompagnés d'un nuage de fumée.
 
LUCIE FER
- C'était des mèches courtes.
 
DIEU
- Diablerie ! (Il dégringole de l'échelle, la tête toute noire et les vêtements en lambeaux et couverts de poussière) Tu n'aurais pas pu le dire plus tôt, espèce d'ahurie satanisée. Dieu est éternel, d’accord, mais pas ses fringues. Non mais tu as vu ça. J’ai l’air fin maintenant. Et qu’est ce que je vais dire à ma femme.
 
LUCIE FER
- Tu n’as qu’à lui dire que tu lances une nouvelle mode.
 
DIEU
- C’est ça, bonne idée. Elle va me flanquer une bonne torgnole, oui.
 
LUCIE FER
- Oh. Marie n'est pas comme cela tout de même.
 
DIEU
- On voit que tu ne la connais pas. C'est une maniaque de la propreté. Avec elle il faut toujours que tout soit immaculé. Je ne la supporte plus, et je me demande ce qui me retient de m'en débarrasser.

LUCIE FER
- Rien.
 
DIEU
- C'est vrai ça ! Elle ne me sert à rien. Elle ne m'apporte que des problèmes. Allez ouste ! Je la jette. Jésus aussi commence à me fatiguer. Dehors également. De l'air ! De l'air ! Tiens, tant que j'y suis, je vais même licencier tous les autres: Gabriel, Saint Pierre, les Apôtres, la police, les militaires. Tous !
 
LUCIE FER
- Mais tu as perdu la raison. Comment allons-nous faire sans eux pour administrer l'Univers ? Et tu crois que c’est moi qui vais te laver les nuages, astiquer les étoiles et repasser les anneaux de Saturne ?
 
DIEU
- Ne t'inquiète pas, grâce à ma nouvelle création nous n'aurons plus jamais besoin ni de bureaucrates, ni de police, ni d'armée, ni de rien d'autre. Alors pourquoi s'encombrer ? Je te laisse prévenir tout le monde. Tu n'as que ça à faire.
 
LUCIE FER
- Ca risque de ne pas être très apprécié. Surtout si c'est moi qui m'en charge.
 
DIEU
- Je n'en ai cure ! Débrouille-toi. Je ne peux pas m'en occuper maintenant. Il faut que je finisse mon oeuvre. Au fait, où sont les ciseaux de sculpteur et le marteau ?
 
LUCIE FER
- Là bas, prés de la chaudière.
 
DIEU
- Ah oui.
 
Dieu va les chercher, puis revient au pied de l'échelle pour remonter.
 
DIEU
- Ah ! Ah ! Vous allez voir, ce que vous allez voir. Vous avez devant vous le Michel Ange de l'Au-delà.
 
LUCIE FER
- Mais par l'Enfer mon chez-moi, peut-on savoir ce que tu traficotes encore ?
 
DIEU
- Ah ! Ah ! Tu verras bien. Je ne dis rien, secret divin. Mais sois tranquille, tu me connais, ce sera génial, comme d'habitude. (Il disparaît au Paradis)
 
LUCIE FER
- C'est bien ce qui m'inquiète. La dernière fois qu'il a été génial, vous avez vu ce que ça a donné. Je trouve tout cela un peu louche, et je ne n’étais pas le Diable, je dirais que ça sent le roussi. J'ai l'impression que l'apocalypse n'a pas fait seulement des dégâts dans le système solaire. (Elle sort par l'entrée du théâtre)

Publicité
Publicité
15 décembre 2011

ACTE 3, Scène 1

ENTRACTE
 
Les anges gardiens font sortir les spectateurs. On remplace les écriteaux indiquant "Cour de Justice Divine" par d'autres portant l'inscription "Malvenue au Club Lucifer". Les anges gardiens sont relevés par les suppôts de Satan qui font entrer à nouveau les spectateurs.

ACTE 3, Scène 1

Décor:
Salle d'exploitation minière à voûte basse. On y trouve une énorme marmite, une cave avec de nombreux tonneaux de vin et de whisky de messe, un tas de charbon prés d'une chaudière et un amoncellement d'objets divers tels que: explosifs, armes, instruments de torture, équipement de mineur, etc.. La scène comporte seulement deux entrées. La première est un couloir obscur où on peut lire l'inscription "Néant". La seconde correspond à une échelle descendant directement d'un trou dans le plafond, à la base de laquelle une flèche indique "Quartier Général de Dieu". La scène est très faiblement éclairée, principalement par le rougeoiement des flammes de la chaudière.
 
Lorsque les spectateurs entrent, la scène paraît déserte. Le téléphone sonne au pied de la marmite. Lucie Fer fait son entrée, apparaissant entre deux tonneaux de vin, une bouteille et un verre à la main. Elle est vêtue d’une robe décolletée rouge, d’un tablier de forgeron, et porte sur la tête un casque de mineur orné d’une lampe à acétylène.
 
LUCIE FER
- Ca va ! Ca va ! J'arrive. Y' a pas moyen de trinquer tranquillement à la fin de l'humanité, ici ! (Elle décroche) Non, vous ne faites pas erreur. Pour votre malheur, vous êtes bien chez Lucie Fer, la plus sensuelle des créatures des ténèbres. Je ne suis pas là pour l’instant, mais vous pouvez me laisser un message lubrique ou satanique, après le rire sonore (Rire satanique vite interrompu) (Voix suave) Ah c'est toi, mon beau Jéhovah ? Que me veux-tu, mon doux coeur ? (Court silence, puis d’une voix normale) Oui. Je vois. (Un temps) Bien sûr, je vais m'en charger.
 
L'AME POLITIQUE
- (Hurlant dans la marmite) Haaa ! Je brûle !
 
LUCIE FER
- C'est d'accord, aucune pitié.
 
L'AME POLITIQUE
- Pitié ! Sortez-moi de là ! (Il hurle)
 
LUCIE FER
- Oh, tu me connais.
 
L'AME DESHERITEE
- (Il hurle) Pitié ! (Il hurle)
 
LUCIE FER
- Attends une seconde. (Elle assomme à grands coups de louche les deux âmes) Allez-vous donc vous taire et vous contenter de cuire nom de Dieu. On ne s'entend plus parler ici. Hein ? Qu'est ce que j'ai dit ? Nom de Dieu ? Ah. Pardonne-moi, je me suis emportée. Bon tu disais... Bien... C'est entendu... Elles viennent justement d'arriver. Allez, à bientôt mon tout bon. Descends me voir un de ces quatre millénaires. (Elle raccroche au moment même où l'Ame Politique émerge du chaudron en hurlant)
 
L'AME POLITIQUE
- Putain de Dieu, c'est atroce ! (Il hurle)
 
 
LUCIE FER
- C’est moi que tu traites de putain de Dieu ?
 
L’âme politique gargouille quelques mots inaudibles en guise de réponse.
 
LUCIE FER
- C’est ça. C’est ça. (A un suppôt) Allez ! Virez-moi ça au Néant et qu'on en parle plus ! De toute façon, je ne supporte plus la puanteur de son âme. Il aura même réussi à écoeurer la Belle Zébuth.
 
Les suppôts sortent l'Ame politique de la marmite et la traîne jusqu'à la sortie Néant.
 
L'AME POLITIQUE
- Non ! Non ! Pas ça ! Je vous en supplie ! Tout mais pas ça ! (Les suppôts de Satan l'emportent dans le couloir) Non ! Haaaaaaaa ! (Son cri se perd dans le néant infini)
 
LUCIE FER
- Ha ! Ça ma bonne âme, il fallait y penser plus tôt ! (Elle pousse un rire satanique puissant, puis s'adresse à l'âme Déshéritée, restée au fond de la marmite) Tiens, tu ne dis plus rien toi ! (Elle pousse un nouveau rire satanique puis se tourne vers le public.) Soyez les malvenus en Enfer, pourritures spirituelles ! (Rire satanique) Vous êtes ici dans les bas-fonds de l'Univers, lieu de repos éternel réputé depuis la création pour ses horreurs abominables. Terminées les douceurs du soleil, avec le Club Lucifer vous découvrirez les bienfaits purificateurs des océans de flammes et des atolls de lave. Terminés les plaisirs oisifs et le bonheur béat, le Club Lucifer vous fera connaître les irrésistibles sensations de l'esclavage et les insoutenables jouissances de la torture morale et corporelle. Et pour tous ceux dont l'existence aura été un enfer, le Club Lucifer vous offrira un voyage éternel à travers les pires malheurs du bonheur perpétuel. Mais avant tout chose, chers adhérents, vous allez tous griller comme des cacahuètes; vous sentez trop mauvais. (Rire satanique) Sans distinction de caste, de sexe, ou de race, vous barboterez tous, enfin réunis, dans le même bouillon fumant ! (Rire satanique) Je vous rappelle enfin, qu'ici, point de salut. L'Enfer est pour l'éternité et l'Eternité sera votre enfer. Alors, abrégez mes souffrances, ne me cassez pas les oreilles avec vos prières. Tout est fini pour vous, et ce n'est pas un dernier Seigneur délivre nous du mal, qui va vous sortir des abysses. De toute façon, à cette profondeur, je doute qu'il puisse vous entendre ! Et quand bien même le pourrait-il, se soucie-t-il encore de vous ? (Rire satanique)
 
Soudain, une succession de coups retentit à l'entrée de théâtre. Lucie Fer s'arrête soudainement de rire.
 




15 décembre 2011

ACTE 2, Scène 3

DIEU
- Mademoiselle, veuillez lever la main droite et jurer devant moi que vous direz toute la vérité et rien que la vérité.
 
LA NATURE
- Je le jure
 
DIEU
- Mademoiselle, la cour vous écoute.
 
LA NATURE
- Avant, tout allait bien. Les forces du ciel et de la terre n'étaient pas toujours tendres avec moi, mais avec de la patience et de la persévérance, j'arrivais à m'en sortir. Je travaillais dur, jour et nuit. Je diversifiais mon allure et mes activités. J'usais de trésors d'ingéniosité, pour parvenir, envers et contre tout, à m'adapter. Et j'y réussissais. Et puis un matin, le Monde se réveilla avec une créature de plus, une créature de trop. (Un temps). Nous étions à l'aube de l'humanité, au début d'un interminable cauchemar. (Un temps). L'homme a fait de ma vie un véritable enfer. Il a commencé par... (Elle soupire). Oh mon Dieu ! (Des larmes coulent le long de ses joues).
 
DIEU
- Je vous en prie.
 
LA NATURE
- Il m'a humiliée. Il m'a torturée. Il m'a... (Elle éclate en sanglots).
 
DIEU
- (Après un temps) Continuez s'il vous plaît. Je sais que c'est une épreuve terrible pour vous, mais votre témoignage nous est capital.
 
LA NATURE
- Oui, bien sûr. (Un temps). Alors, il m'a empoisonnée, brûlée, tabassée, charcutée, greffée, amputée, il m'a même manipulée salement, m'obligeant à faire des choses... (Elle étouffe un soupir). Des choses, Seigneur. (Elle éclate de nouveau en sanglots).
 
DIEU
- De grâce, ne pleurez point.
 
LA NATURE
- Votre honneur ! J'ai été violée ! (Elle sanglote).
 
DIEU
- Ame de science, reconnaissez vous les faits et forfaits dont cette personne vous accuse ?
 
Silence.
 
L'AME DE SCIENCE
- Oui.
 
DIEU
- Ah ! Vous avouez !
 
L'AME DE SCIENCE
- Oui. Mais nous n'étions pas tout seul.
 
DIEU
- Qui donc était avec vous ?
 
L'AME DE SCIENCE
- Tout le monde. Les consommateurs inconscients et leurrés, les investisseurs cupides et malhonnêtes, les hommes politiques qui nous manipulaient, les ...
 
L'AME POLITIQUE
- Diffamation ! Nous n'avons rien à voir la dedans !
 
LA NATURE
- Mon Dieu.
 
L'AME DE SCIENCE
- C'est elle ! C'est cette âme qui nous a obligées à faire toutes ces choses abominables !
 
L'AME POLITIQUE
- Enfin, âme de science, reprenez vous. Vous ne savez plus ce que vous dites. La peur de l'Enfer vous serre les entrailles. Vous perdez la raison. Vous ne voyez pas que cette femme ment ? C'est une évidence ! Enfin, ne nous compromettez pas à cause de cette traînée ! Elle est prête à dire n'importe quoi ! Nous ne connaissons même pas son identité.
 
DIEU
- Greffier, dites moi, qui est cette âme grossière ?
 
SAINT PIERRE
- Je vais consulter sur-le-champ le Fichier Universel. (Des pages de texte défilent sur l'écran) Mm. Je m'en doutais, c'est une âme politique.
 
DIEU
- Très bien, qu'y a-t-il dans son dossier ?
 
SAINT PIERRE
- Abus de pouvoir, détournement de bonnes actions, manipulation de populations, corruption, délit d'initié, spéculations, fausses factures, argent sale, idolâtrie matérialiste et mondialisatrice...
 
DIEU
- Ca me suffira Saint Pierre, je vous remercie. Evidemment, âme politique, il fallait bien s'y attendre, vous avez été si loin dans le viol et la destruction, que vous n'êtes même plus capable de reconnaître votre principale victime.
 
L'AME POLITIQUE
- Mais enfin, puisque je vous dis que je n'ai pas l'honneur de connaître mademoiselle ! Je ne l'ai jamais vu de ma vie ! Je vous l'assure.

DIEU
- Eh, bien. Si ce que vous dites est exact, vous êtes un cas désespéré. Il est certain que ce n'est pas derrière un tas de statistiques économiques ou du haut d'un avion supersonique que vous pouviez en voir grand chose.
 
L'AME POLITIQUE
- Foutaise !
 
DIEU
- Vous prétendez ne pas connaître cette personne. Et vous Mademoiselle reconnaissez vous cette âme?
 
LA NATURE
- Hélas, oui.
 
DIEU
- Est-ce bien l'un de vos agresseurs ?
 
LA NATURE
- Oui.
 
DIEU
- En êtes vous sûr ? Prenez tout votre temps, l'éternité s'il le faut.
 
LA NATURE
- J'en suis certaine. C'est bien elle. Et elle, là bas (elle montre l'âme de science) c'est une de ses complices, comme tous ces gens qui nous regardent. Ils étaient une armée à me tourmenter. Tous les hommes sont complices. Ils se sont tous ligués contre moi. Mon Dieu. (Elle sanglote). Tous contre moi. Pourquoi ? Que leur ai je fait pour mériter ça ?
 
L'AME POLITIQUE
- Vous n'allez tout de même pas croire cette monstruosité abjecte !
 
LA NATURE
- (Elle hurle). Une monstruosité ! Vous voyez, c'est tout ce que je suis maintenant pour eux (Elle sanglote) Une monstruosité. C'est trop injuste.
 
DIEU
- Cette monstruosité, âme, est ce que vous en avez fait. Elle est votre oeuvre, le miroir de votre société, ou plutôt son négatif. Pourtant cette frêle demoiselle, si affreusement laide et mutilée, autrefois était belle et féconde. Elle régnait sur le monde réel comme extension de mes conceptions spirituelles. Et elle régnait surtout parce qu'elle était ce tout. Les montagnes, les vallées et les plaines c'était elle. Les fleuves, les lacs et les mers c'était elle. Toute la diversité, la dynamique et l'équilibre du vivant c'était elle. Elle était votre mère à tous: la nature dans tout ce qu'elle a de complexe, de cruel et de beau. A votre naissance, elle vous a nourris, elle vous a aimés, et elle vous a élevés. Elle vous a donné tout ce qu'elle avait pour permettre à votre intelligence de se développer. Comme toute bonne mère, elle espérait qu'un jour, enfin parvenus à l'âge adulte, vous seriez capables d'oeuvrer en symbiose avec elle afin de donner une petite touche personnelle et originale à l'harmonie naturelle du monde. Certes vous avez grandi. Mais vous n'avez rien compris. Vous n'avez rien écouté. Et voyez maintenant où a mené votre petite touche personnelle (Il montre la jeune fille). Quel sens de l'harmonie ! L'art du désastre, oui ! Loin de reconnaître la nature comme votre mère, loin de respecter sa sagesse, vous l'avez maltraitée de toutes les façons avant de l'assassiner ! Vous vous êtes comportés comme de vrais sauvages. Non, pire, comme de simples humains. Vous êtes un fléau.
 
L'AME POLITIQUE
- Objection votre honneur !
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Objection accordée !
 
L'AME POLITIQUE
- Au nom de l'humanité, j'ai le regret de vous dire que tout ce que vous avancez n'est que pure fiction.
 
DIEU
- Plaît-il ? Vous vous moquez de moi ?!
 
L'AME POLITIQUE
- Ce n'est pas l'homme qui a refusé de coopérer avec la nature, c'est la nature qui a refusé de se plier à l'homme. Le fléau, c'est elle ! Elle n'a eu que ce qu'elle méritait.
 
LA NATURE
- Comment osez vous, après tout ce que vous m'avez fait ? (Elle éclate en sanglots)
 
DIEU
- Gabriel, un verre d'eau vite. J'étouffe !
 
Gabriel s'exécute promptement. Dieu boit.
 
L'AME POLITIQUE
- Tout est écrit là. (Il sort un livre). Ancien Testament, Genèse, chapitre un, verset 26 : "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre." Plus loin, je lis ces paroles de Dieu s'adressant à l'homme et à la femme: "Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre". Plus loin encore, au chapitre 9, verset 2, je lis ces mots prononcés à Noé et à ses fils: "Vous serez un sujet de crainte et d'effroi pour tout animal sur la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et tous les poissons de la mer: ils sont livrés entre vos mains" Vous voyez, on ne peut être plus clair, la nature a bien été créée pour servir les hommes. Ce n'est pas moi qui l'invente. C'est vous qui le dites. C'est dans les textes.
 
DIEU
- Dans les textes ! Quels textes ? Gabriel, apportez moi ça !
 
Gabriel se déplace pour aller retirer le livre des mains de l'âme politique.
 
DIEU
- Qu'est ce ?
 
GABRIEL
- La bible.
DIEU
- La bible. (Il la feuillette) Tiens, intéressant, on parle beaucoup de moi là dedans. C'est d'une imagination fertile. Il y a de belles histoires et de bons proverbes, mais toutes les paroles que l'on me prête sont fausses. Saint Pierre, connaissez vous l'auteur de cet ouvrage ?
 
L'AME POLITIQUE
- Mais vous vous moquez de nous ! L'auteur, c'est vous !
 
DIEU
- Vous m'excuserez, mais j'ai beau regarder ce livre sous toutes ses phrases et derrière toutes ses virgules, je ne trouve pas la signature de l'auteur.
 
SAINT PIERRE
- C'est normal, c'est un collectif anonyme mésopotamien.
 
DIEU
- Ah ! Vous voyez. Je garde ce document, pièce à conviction.
 
L'AME POLITIQUE
- Quelle hypocrisie ! C'est déconcertant. Vous allez jusqu'à nier les saintes écritures pour couvrir vos erreurs.
 
DIEU
- Selon vous, j'aurais commis des erreurs. Lesquelles ?
 
L'AME POLITIQUE
- La première, c'est de nous avoir chassé du jardin d'Eden.
 
DIEU
- Mais je n'ai chassé personne. C'est en accédant à la connaissance que vous avez perdu l'Eden. Je n'ai rien fait. L'Eden a toujours été là, c'est vous qui ne saviez plus le voir.
 
L'AME POLITIQUE
- Mais pourquoi le monde était-il si dur ? Si la nature n'avait pas été aussi agressive, nous n'aurions jamais été obligés de la corriger. Nous ne nous serions pas éloignés de l'Eden. Ce n'était pas notre faute. Il nous fallait bien survivre. Et cela n'a pas été facile, croyez moi. Nous avons travaillé d'arrache-pied pour parfaire le monde, pour exterminer tous les nuisibles et éliminer les inutiles, pour garder le beau, et transformer le laid, pour nettoyer les forêts et assainir les marais.
 
DIEU
- Vous vous trompez. Le monde n'était pas dur. Il était juste. Mais parce que vous n'avez pas su rester sobre, le monde est devenu difficile. Moins il y a d'obstacles, plus il y a d'obstacles, tel est le sort des éternels insatisfaits. Et il arrive un moment où il n'y a plus rien. Vous avez voulu tutoyer Dieu, en jouant avec sa matière. C'est ce qui vous a perdu.
 
L'AME POLITIQUE
- Mais alors pourquoi nous avoir donné le fer, le charbon, le pétrole et l'atome ?
 
DIEU
- Je ne vous ai rien donné. Vous vous êtes servis, sans vous poser de question, sans rien demander à personne, et pour répandre le mal sur toute la Terre.
 
L'AME POLITIQUE
- Objection ! Je veux bien admettre que nous soyons allés trop loin, mais reconnaissez au moins qu'il n'y a pas que du mal dans l'humanité. Certes nous avons quelque peu malmené la planète, et je le déplore, mais c'était pour le bien de l'homme, votre plus brillante créature. Auriez vous préféré que nous soyons restés à jamais dans la misère physique et dans la pauvreté intellectuelle des papous de Nouvelle Guinée ? D'ailleurs, leur respect pour la nature n'est qu'une illusion. Il n'est que la traduction d'un manque patent de moyen pour en venir à bout. Tôt ou tard, même les civilisations les plus primitives auraient mis la nature au pas, de la même façon que les polynésiens de l'Ile de Pâques ont détruit leur île avant de se détruire eux même. Mais au moins auront-ils, érigé, ces monuments de pierre qui font l'admiration de tous. Puisque le désastre était inéluctable, nous en avons profité pour bâtir de grandes civilisations, pour construire de resplendissantes cités, pour inventer la télévision, l'avion et l'automobile, ou encore pour marcher sur Mars et sur la Lune. N'est ce pas fantastique ! Quelle formidable aventure que l'aventure humaine. Bien sûr, toute aventure comporte des risques, mais nous les avons assumés, et en quelques centaines de milliers d'années nous avons réussi à créer plus de merveilles que la nature en aura été capable depuis la naissance de la terre ! Vous ne croyez pas que la richesse de la culture humaine valait bien toute la biodiversité du monde ?
 
DIEU
- Non. Tant qu'il n'y avait pas d'équilibre.
 
L'AME POLITIQUE
- Mais l'équilibre avec la nature, c'est la mort de la civilisation !
 
DIEU
- La civilisation, est un superflu intolérable s'il faut pour cela asservir tout un peuple et anéantir toute une création. Mais vous n'avez même pas essayé de chercher un compromis.
 
L'AME POLITIQUE
- C'est faux ! Car bien conscient de nos erreurs premières, nous avons mis en place une multitude de parcs nationaux et de réserves pour protéger la nature.
 
DIEU
- Je suppose que vous faîtes allusion à ces reliquats inexploitables de nature vierge, qui une fois aseptisés et sécurisés se sont transformés en laboratoires, ou pire, en centres de loisirs et en terrains de jeux pour citadins en mal de verdure. Essayez vous de me faire croire que vous avez des circonstances atténuantes ? Mais vous ne vous souciez de dame nature que pour l'exhiber salement en public, comme dans une foire. Elle n'a d'intérêt pour vous que dans sa dimension économique. Si elle ne vous rapporte rien, vous l'exterminez sans aucune pitié. Vous n'aviez pas compris que ce n'est pas en parquant la nature que vous résoudriez votre vieux conflit avec elle ?
 
L'AME POLITIQUE
- Y avait-il d'autres solutions que la ségrégation ?
 
DIEU
- Oui, changer de philosophie, orienter le progrès non plus vers l'accumulation de biens matériels mais vers le développement de l'Esprit, construire une civilisation du savoir et non de l'avoir, faire la part du nécessaire et celle du superflu. Dématérialiser votre économie et votre vie.
 
L'AME POLITIQUE
- Dématérialiser notre vie et notre économie. Et pourquoi pas la décroissance tant que vous y êtes. Mais vous rêvez. Changer aussi radicalement de cap, mais vous réalisez ? Avez vous une idée du coût que cela représente ?
 
DIEU
- Le coût ? Mais vous n'aviez pas compris que l'avenir du monde n'avait pas de prix ? Je vous croyais intelligent et mature. Je vous croyais généreux aussi. J'étais persuadé que vous seriez capable de bâtir un monde nouveau où la nature et l'intelligence s'inspireraient l'une de l'autre pour se sublimer. Par vos paroles vous venez une fois de plus de me démontrer le contraire.
 
L'AME DESHERITEE
- (Vêtue de haillons, elle se lève parmi les spectateurs). Objection votre honneur !
 
L'AME POLITIQUE
- Il ne manquait plus que celle là.
 
SAINT PIERRE
- Accordée !
 
L'AME DESHERITEE
- Ce n'est pas juste ce que vous dites. Moi, dans la vie, je n'ai jamais rien possédé d'autre que le lourd fardeau de la misère, avant que la mort ne m'en sépare.
 
DIEU
- (A voix basse, à Saint Pierre). Qui est-ce ?
 
SAINT PIERRE
- (Après avoir fait défilé rapidement quelques images de texte à l'écran). Une âme déshéritée.
 
DIEU
- Bien. La cour vous écoute, âme déshéritée.
 
L'AME DESHERITEE
- Moi, je n'ai jamais spéculé et le matérialisme a été mon enfer. J'ai passé ma vie à être exploitée par les autres. Je ne veux pas payer pour mes bourreaux. Je suis innocente, je suis une victime.
 
L'AME POLITIQUE
- Rien ne serait arrivé si vous n’aviez pas refusé de travailler avec nous. Les hommes ne doivent-ils pas s'entraider ?
 
L'AME DESHERITEE
- Vous êtes odieux.
 
L'AME POLITIQUE
- Je ne dis que la vérité.
 
L'AME DESHERITEE
- Nous étions devenus vos esclaves ! Vous appelez ça de l'entraide, vous ?
 
L'AME POLITIQUE
- Mensonges ! Ce ne sont que mensonges une fois de plus !
 
L'AME DESHERITEE
- Et le massacre de la nature ?
 
L'AME POLITIQUE
- La nature n'a eu que ce qu'elle méritait. Le jardin d'Eden, ce n'est pas la jungle ! C'est son refus d'obtempérer qui l'a perdue. Nous ne sommes pas responsables.
 
DIEU
- Vous plaidez non coupable ?
 
L'AME POLITIQUE
- Je plaide non coupable pour les crimes commis contre la nature, oui. De même, je plaide non coupable pour l'abus de pouvoir sur les plus démunis.
 
L'AME DESHERITEE
- Vous êtes abjects ?
 
L'AME POLITIQUE
- Je suis innocent !
 
L'AME DESHERITEE
- Assassin !
 
L'AME POLITIQUE
- Calomnie !
 
L'AME DESHERITEE
- Vampire !
 
L'AME POLITIQUE
- Parasite !
 
L'AME DESHERITEE
- (Elle se rue sur l'âme Politique) Je vais l'exterminer !
 
L'AME POLITIQUE
- (Il sort une bouteille d'insecticide sous pression) Prends garde ! Je suis armée !
 
DIEU
- (Il hurle). Ah ! Assez ! Vous n'allez pas remettre ça chez moi ! Gardes, saisissez-vous d'eux !
 
Sans attendre, les anges gardiens s'emparent des deux âmes et les mènent devant Dieu.
 
DIEU
- Sachez qu'il n'y a pas de victime. Vous êtes tous responsables. Que l'on vous donne l'argent et le pouvoir, et du plus humble des esclaves, vous devenez le pire des despotes. Vous êtes comme une colonie de bactéries, au régime vous êtes inoffensifs, mais il suffit de vous poser sur du sucre et c'est la catastrophe. Vous n'avez jamais regardé ce qui se passe dans une boite de Pétri lorsqu'il n'y a plus de substrat glucosé ? Vous auriez du, cela vous aurait évité d’aboutir au désastre. Car si vous aviez jeté un coup d’oeil, vous vous seriez aperçu que tout ce qui est dedans crève ou se cannibalise. Trois milliards d'année d'évolution pour rien. L'homme est demeuré aussi idiot qu'une stromatolitheenfermée dans une boite. Devant cet échec cuisant, je suis porté à croire, que j'aurais du arrêter l'expérience au stade des microbes. Seulement moi aussi j'y ai cru en la grandeur de votre âme. Je me suis dit, ce n'est pas grave, ils sont encore jeunes, ils ont besoin d'apprendre, ils font des bêtises mais la nature est généreuse et immense, ils se calmeront et ils répareront leurs erreurs. Je me disais, tout de même, tout ce que font ces humains est extraordinaire, quelle imagination, quel génie. J'étais fasciné par vous; le père en extase devant ses enfants. Mais je regardais aussi la nature, votre jeune mère. Et ce que je voyais ne cessait de m'effrayer. Comme elle était belle et riche, mais comme elle était soucieuse et angoissée aussi. Elle me demandait, jusqu'où vont aller ces hommes que tu m'as fait ? Te rends-tu compte que chaque chose qu'il font, aussi grande soit elle, se fait au détriment de moi même ? Ne vois tu pas comme ils me rongent ? Je lui répondis, tout va bien se passer, nous allons être plus sévères. De carottes il n'y aura plus. Mais les carottes ils s'en moquaient depuis longtemps. Nous avions beau faire, ils étaient décidés à devenir maîtres du monde. Je me disais alors, si c'est le prix à payer pour élever l'Esprit de l'homme, soit, laissons les aller. Mais l'esprit de l'homme s'est égaré. Guidé par l’étoile des bergers de la finance, il s'est englouti tout entier dans les sables du désert matérialiste. Je consomme donc je suis, tel était pour lui le sens de la vie. L'homme a consommé, et la Terre s'est consumée. Ce fût l'apocalypse. (Court silence) Vous avez commis deux erreurs impardonnables. (Un temps) La première, s'est d'avoir voulu donner un sens à votre vie, alors qu'il fallait donner un sens à votre esprit. (Un temps) Et la seconde, c'est de ne pas avoir saisi qu'il n'y a d'éthique que celle du vivant et de ses nécessités. (Long silence). Accusé, avez vous quelque chose à ajouter pour votre défense ?
 
Silence général.
 
DIEU
- Bien, alors le jury se retire pour délibérer. La séance est close. Quant à vous deux, vous allez me faire le plaisir de disparaître. Gabriel !
 
GABRIEL
- (Il entre en courant, accompagné de deux anges policiers) Vous m'avez demandé patron ?
 
DIEU
- Oui Gabriel. Envoyez-moi ces deux là faire un tour au Club Lucifer.
 
GABRIEL
- Avec plaisir, patron.
 
Ils saisissent les deux âmes et les emmènent vers le puits de l'Enfers.
 
L'AME DESHERITEE
- Ne me touchez pas ! Je n'ai rien fait ! Je suis innocente !
 
L'AME POLITIQUE
- Ordure! Crevure ! Levure ! Un avocat ! J'exige un avocat ! Lâchez-moi ! Vous n'avez même pas de témoins !
 
DIEU
- Et que faites-vous des témoins de Jéhovah ?
 
L'AME POLITIQUE
- Que ...
 
DIEU
(en sortant)
- Allez jetez-moi ça !
 
Gabriel et les anges policiers jettent les deux âmes en enfer et sortent. Les écrans des douze ordinateurs s'éteignent. La scène retourne à l'obscurité.
Après quelques instants de silence, Jésus Christ apparaît, jouant en soliste la musique de "l'homme à l'harmonica" d'Ennio Morricone.
Lorsque la musique est terminée, Dieu procède à l'appel. A chaque nom d'apôtre, un écran lui correspondant s'allume.
 
DIEU
- Saint Pierre.
 
SAINT PIERRE
- Coupable !
 
DIEU
- Saint André.
 
SAINT ANDRE
- Coupable !
 
DIEU
- Saint Jacques le Majeur.
 
SAINT JACQUES LE MAJEUR
- Coupable !
 
DIEU
- Saint Jacques le Mineur.
 
SAINT JACQUES LE MINEUR
- Ouais. C'est ça, coupable !
 
DIEU
- Saint Jean L'évangéliste.
 
 
SAINT JEAN L'EVANGELISTE
- Coupable !
 
DIEU
- Saint Philippe.
 
SAINT PHILIPPE
- Coupable !
 
DIEU
- Saint Matthieu.
 
SAINT MATTHIEU
- Coupable !
 
DIEU
- Saint Barthélemy.
 
SAINT BARTHELEMY
- Coupable !
 
DIEU
- Saint Thomas.
 
SAINT THOMAS
- Coupable !
 
DIEU
- Simon le Zélote.
 
SIMON LE ZELOTE
- Coupable !
 
DIEU
- Thaddéé.
 
THADDEE
- Coupable !
 
DIEU
- Judas.
 
Pas de réponse, l'ordinateur reste éteint.
 
DIEU
- Judas ?
 
Pas de réponse, l'ordinateur reste éteint.
 
DIEU
- Mais où est-il encore passé celui là ?! Judas !
 
L'ordinateur Judas s'allume enfin
 
JUDAS
- Ouais, ça va, criez pas, Seigneur, je suis là !
 
DIEU
- Votre verdict Judas ?
 
JUDAS
- Non coupable !
 
DIEU
- Comment ?
 
JUDAS
- Non coupable !
 
DIEU
- Alors, toi, tu ne peux jamais te programmer comme tout le monde !
 
JUDAS
- Eh …
 
DIEU
- (Il se tourne vers le public) Accusés levez-vous ! (Le public met un certain temps à réagir, et Dieu insiste plus sèchement). Accusés, je vous demande de bien vouloir vous lever, la cour de justice divine va rendre son verdict. (Lorsque le public s'est décidé enfin, sous l'insistance de Dieu et de ses anges gardiens). Humanité ! Au nom du Père, du fils et du Saint Esprit, après délibération, et à l'unanimité, ou presque, la Cour vous reconnaît coupable du génocide de l'intelligence, et de vol, viol, torture et crime contre la nature. La sentence est l'Enfer éternel. (Un temps). L'audience est levée.
 
On commence à faire sortir les spectateurs. Les douze apôtres s'éteignent. Dieu reste tout seul sur scène. Il sort un téléphone et compose un numéro.
 
DIEU
- Allô ! Bonjour mademoiselle Bernadette. Pourriez vous me passer les Enfers s'il vous plaît ? Merci. (Il attend) Comment ça, ils ne répondent pas ! Insistez je vous en prie. C'est important. J'attends.
 
Les spectateurs finissent de sortir.

 

 

 

 

 

15 décembre 2011

ACTE 2, Scène 2

SAINT PIERRE
- Ainsi s'emballait la machine infernale. La population explosait, et le monde progressait. Au commencement de l'humanité, Dieu avait pensé que les caprices climatiques, les maladies, les animaux sauvages et vos propres guerres suffiraient largement à limiter votre prolifération. Hélas, dans son infinie sagesse, l'Eternel s'était trompé. Et lorsqu'il réalisa son erreur, il lui fallut innover. Alors il créa des virus de plus en plus sophistiqués et imagina de nouvelles catastrophes. La peste, le choléra, le paludisme, le SIDA, les tornades, les sécheresses, les inondations, les tremblements de terre, les raz de marées, les éruptions cataclysmiques, les invasions d'insectes, autant de fléaux inventés tous spécialement pour freiner votre fulgurant essor démographique. Mais vous étiez plus malins que prévu. Tous ces problèmes, votre maudite science les a résolus.
 
L'AME DE SCIENCE
(au milieu des spectateurs)
- Objection, votre honneur !
 
DIEU
- Qui donc objecte ?
 
L'AME DE SCIENCE
- (Il se lève ) Moi, votre honneur.
 
DIEU
- Saint Pierre, qui est cette âme ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- (Des pages de texte défilent à l'écran). C'est une âme de science, Seigneur.
 
DIEU
- Qu'avez vous donc à dire âme de science ?
 
L'AME DE SCIENCE
- Je ne comprends pas où vous voulez en venir. Quel mal y a-t-il à vouloir améliorer les conditions d'existence de l'humanité ?
 
DIEU
- Aucun à priori, mais...
 
L'AME DE SCIENCE
- Alors pourquoi incriminez vous la science ?
 
DIEU
- Je ne reproche rien à la science en elle même. Ce sont ses débordements que je condamne. L'esprit de la recherche scientifique est bon, et je l'encourage, car il participe de la grandeur de l'homme, mais ses déviances sont malsaines et dangereuses.
 
L'AME DE SCIENCE
- Mais nous, les scientifiques, nous n'avons que de bonnes intentions. Nous produisons des idées, des concepts, des inventions. Nous ne sommes pas responsables de ce qu'elles deviennent entre les mains de personnes mal intentionnées.
 
DIEU
- Je suppose alors que c'est dans une bonne et louable intention que vous avez inventé l'arme nucléaire.
 
L'AME DE SCIENCE
- D'accord, l'arme nucléaire, c'était une bavure.
 
DIEU
- Et pas des moindres. Que dire aussi des centrales atomiques ?
 
L'AME DE SCIENCE
- Nous avions besoin d'une énergie puissante pour nous développer. C'était incontournable.
 
DIEU
- Vous n'ignoriez pourtant pas les risques ?
 
L'AME DE SCIENCE
- Nos centrales étaient infaillibles.
 
DIEU
- Pourtant, elles ont failli bien des fois, et entraîné des dégâts irréparables.
 
L'AME DE SCIENCE
- Nous plaidons non coupable. Les défaillances n'étaient pas techniques mais humaines.
 
DIEU
- Peut être avez-vous commis l'erreur de négligé le facteur humain ? Quand au devenir des déchets radioactifs, je parie que vous ne vous êtes même pas posé la question avant de construire votre première centrale.
 
L'AME DE SCIENCE
- Nous ne pouvions pas arrêter l'avancée technologique pour ce simple petit détail.
 
DIEU
- Je suppose aussi que le trou dans la couche d'ozone, et l'augmentation du gaz carbonique dans l'atmosphère étaient également de petits détails n'ayant pas suffisamment d'importance pour mettre un frein à l'industrie pétrolière et chimique.
 
L'AME DE SCIENCE
- Mais pourquoi vous obstinez-vous à accusez les scientifiques, alors que c'est l'industrie qui est le véritable coupable ? Nous en sommes les principaux concepteurs, certes, mais nous n'avons aucun pouvoir sur elle, et encore moins celui de l'arrêter.
 
DIEU
- Alors pourquoi y apportez vous sans cesse de nouvelles innovations ?

L'AME DE SCIENCE
- Pour améliorer les performances de nos usines en limitant, autant que possible, leurs effets polluants, voyez vous.
 
DIEU
- Dans les pays riches, je dois avouer que vous avez fini par faire un tout petit effort. A l'aube du deuxième millénaire, il était grand temps. Par contre dans les pays du tiers monde, c'était bien le dernier de vos soucis. Pire encore, c'était bien facile d'être propre chez soi, quand on faisait les salles besognes par les autres.
 
L'AME DE SCIENCE
- Ce n'est pas de notre faute. Nous n'avions aucun pouvoir de décision. Nous obéissions aux ordres.
 
DIEU
- Pourquoi obéissiez vous ? Vous auriez pu refuser, si vous estimiez que cela était dangereux. Je vous ai donné une conscience, c'est pour vous en servir. Il me semble que vous ne vous posez pas beaucoup de problèmes éthiques. Science sans conscience...
 
DIEU et L'AME DE SCIENCE
- ... n'est que ruine de l'âme.
 
L'AME DE SCIENCE
- Je sais.
 
DIEU
- Ah ! Vous savez. Pourtant, lorsque vous tripatouillez dans le génome des êtres vivants, vous ne demandez pas à la nature si elle est d'accord. Pourtant, lorsque vous cultivez en série des organes humains en greffons sur de malheureuses souris, ça ne vous empêche pas de dormir. Pourtant, lorsque vous inventez les bombes chimiques et bactériologiques, vous parvenez toujours à vous regarder dans une glace. Hein ? Répondez !
 
Silence
 
DIEU
- Et je ne vous parle pas de votre remarquable médecine qui n'a eu de cesse que d'encourager la surpopulation humaine et d'affaiblir l'espèce. Et je ne vous parle pas, non plus, des miracles de votre agriculture intensive, responsables de l'érosion des sols, de la pollution des eaux, et de la mort de la diversité naturelle. Pas plus, je ne vous parlerai des conséquences de la construction des supers pétroliers, dont vous n'ignoriez pas la fragilité. Devrais-je aussi vous rappeler les conséquences de la découverte du plastique et de l'invention du réfrigérateur ? Il me faudrait tout une éternité pour passer en revue la somme de vos inventions diaboliques.
 
L'AME DE SCIENCE
- Pourtant, il n'y avait guère que des scientifiques pour sensibiliser les gouvernements à la dégradation de la planète.


DIEU
- C'est vrai, et je vous accorde cette circonstance atténuante. Mais ne croyez-vous pas qu'il était un peu tard ? Pourquoi avoir attendu si longtemps pour réagir ?

L'AME DE SCIENCE
- Parce que nous ne pouvions pas remettre en cause le progrès de l'humanité.
 
DIEU
- Ah, le progrès, parlons en de celui là. Qu'est ce que le progrès ? Définition, Saint Pierre.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Progrès: Un, changement d'état qui consiste en un passage à un degré supérieur. Deux, développement en bien. Trois, le fait de se répandre, de s'étendre dans l'espace, de gagner du terrain.
 
DIEU
- Pour ce qui est de se répandre il n'y à rien à dire, vous avez été très forts. Bravo ! Par contre, pour ce qui est d'avoir évolué vers un état meilleur, je doute. A moins de considérer que respirer un air saturé en soufre et en carbone c'est excellent pour la santé, que se promener dans une forêt de squelettes ligneux c'est romantique, que pouvoir parcourir le monde sans rencontrer une seule espèce sauvage c'est rassurant, et que vivre avec l'angoisse des catastrophes nucléaires c'est excitant. Je n'aurais rien contre le progrès, s'il ne menaçait pas dangereusement la nature. Mais vous êtes allés trop loin. Poussés par un orgueil insolent, aveuglés par un égoïsme écervelé, démangés par un désir de repousser sans cesse vos limites, et encouragés par une idéologie matérialiste dévote du progrès technologique sans frein et sans condition, vous avez mis en péril la nature, mais aussi votre propre existence. J'ai essayé de vous empêcher d'arriver au désastre, mais plus je mettais d'obstacle, plus vous progressiez. Pire, chaque problème vous faisait progresser plus encore. Mais progresser où, vers quoi ? Telle est la question. (Silence). Gabriel, faites entrer la plaignante.
 
GABRIEL
- Immédiatement votre honneur
 
Il sort puis revient accompagné par deux anges du SAMU céleste qui tant bien que mal, soutiennent une jeune et jolie femme, vêtue de haillons, et portant sur le corps les traces de nombreux sévices (Amputations, greffes supplémentaires de membres, cheveux à demi coupés, arrachés et brûlés, plaies béantes, brûlures diverses, etc..)

Les deux anges déposent la malheureuse et sortent

 

15 décembre 2011

ACTE 2, Scène 1

La scène est dans le noir total. On entend, en coulisse, la voix de Saint Pierre.
 
SAINT PIERRE
- Au commencement, Dieu dit:
 
DIEU
- Que la lumière soit.
 
SAINT PIERRE
- Et la lumière fût.
 
Mais la lumière tarde à venir.
 
DIEU
- Alors ! Qu'est-ce que vous foutez avec la lumière, bande d'andouilles !
 
L'ouverture du poème symphonique de Richard Strauss "Ainsi parlait Zarathoustra" commence à se faire entendre.
 
DIEU
- Ah ! Enfin !
 
Au fur et à mesure que le volume de la musique augmente, les écrans des douze ordinateurs s'allument. Saint Pierre est cependant plus brillant que les autres.
 
SAINT PIERRE
- Au commencement, l'homme était tout seul,
 
Une lumière éclaire un homme, torse nu, en caleçon, et feuilletant un magazine érotique.
 
SAINT PIERRE
- tout nu, ou presque. Il s'ennuyait,
 
L'homme fait mine d'être lassé par la revue
 
SAINT PIERRE
- et Dieu s'ennuyait de lui,
 
Dieu apparaît sur sa tribune, l'oeil au beurre noir, quelque peu décoiffé, et comme lassé par le comportement si peu créatif de l'homme
 
SAINT PIERRE
- Alors il créa la femme.
 
La femme apparaît vêtue avec raffinement mais de manière à mettre en valeur ses appâts charnels. Elle vient rejoindre l'homme au centre de la scène.
Celui ci s'excite comme un fou en la voyant. Il lui tourne autour, exécute diverses singeries, et pour finir, lui met la main aux fesses et reçoit sa première gifle. Consterné, il se met en colère et commence à la battre. Tout se déroule en silence. La lumière éclairant l'homme et la femme s'éteint sur une scène de combat et Saint Pierre reprend.

SAINT PIERRE
- Ah, c'est évident, l'homme ne s'ennuyait plus. Mais Dieu, lui, se sentait toujours aussi seul dans l'Univers. Le manque d'action lui pesait. Alors, pour se distraire un peu, il créa les voisins.
 
Apparaît, un second couple vêtu pareillement au premier. Assis sur un canapé, Monsieur lit tranquillement un journal de pages blanches, pendant que Madame tricote.
 
SAINT PIERRE
- On ignore encore quelle mouche diabolique piqua le seigneur ce jour là, mais ce qui est certain, c'est que ce fut une catastrophe sans aucun précédent dans l'histoire de l'Univers tout entier. Car l'homme sortit de sa bêtise originelle et prit conscience de son existence.
 
Une lumière éclaire Adam, assis sur le bord de la scène avec une cane à pêche.
 
ADAM
- To be, or not to be ? That is the question.
 
SAINT PIERRE
- Mais surtout, et c'est là le plus grave, sa compagne prit conscience de son existence de femme.
 
Une lumière vient éclairer Eve qui dort allongée sur le sol. Le bureau de Saint pierre s'éteint laissant les deux couples seuls éclairés sur scène.
 
ADAM
- Faut pas pêcher à l'aube de l'Humanité, ça mort que dalle.
 
Eve, qui s'est réveillée, se met soudain à hurler.
 
EVE
- Adam ! Adam !
 
ADAM
- Vingt dieux moins dix-neuf, la v'la qui s'réveille.
 
EVE
- Regarde ça ! (Elle montre le second couple).
 
ADAM
- Ben, je vois rien de spécial.
 
EVE
- Désopilant ! Sac à bêtise encrassé, regarde là ! (Elle saisit la tête de son mari avec ses mains et la pointe en direction de la Comtesse d'Eden).
 
ADAM
- Quoi ?
 
EVE
- Elle !

ADAM
- Hé, c'est vrai. Elle n'est pas mal du tout, not' voisine J'avais jamais remarqué qu'elle était aussi bien roulée. T'as vu ses lolos. Hé ! Hé ! C'et qu'j'lui tat'rais bien l'pis, moi..
 
EVE
- Ce n'est pas là que ça se passe, vicieux ! Regarde au niveau de ses fesses ! Tu ne vois rien ?
 
ADAM
- Ah, si j' vois.
 
EVE
- Ah ! Tout de même.
 
ADAM
- J'vois même très bien. Ah ce cul !
 
EVE
- (Elle pousse un rugissement). Mais c'est pas vrai ! Qui m'a fait un mec pareil ? (Elle roue son mari de coups). Tiens ! Prends ça ! Ca ! Et ça ! Monstre pervers obsédé ! Et maintenant, je vais te montrer ce que tu aurais dû remarquer, chef d'oeuvre de stupidité. Notre chère et non moins détestable voisine, possède mon petit mari, ce qui occupe mes rêves depuis les origines: un somptueux canapé de cuir, confortable et brillant à plaisir.
 
ADAM
- Mais il n'est même pas en cuir.
 
EVE
- Heureusement, parce que celui que tu vas m'offrir le sera.
 
ADAM
- Tu délires.
 
EVE
- (Elle hurle !) Non je ne délire pas ! J'en ai marre de me casser les reins sur le sol nu de l'Univers, si tu veux savoir ! Alors débrouille toi pour me trouver rapidement l'objet de mon incontrôlable désir si tu veux me revoir ! Compris !
 
ADAM
- M'en fous.
 
EVE
- (Elle hurle) Répète moi ça, un peu plus fort. Je n'ai rien entendu !
 
ADAM
- (Il se lève d'un bond) J'y vais, j'y vais chérie. Ne m'frappe pas.
 
Il court en coulisse, et revient avec un canapé lit en cuir.

ADAM
- Ah, j'suis content. J'ai trouvé. J'ai même fait une affaire. Y a le Diable qui ma proposé un rabais contre mon âme. Alors moi j'lui ai dit oui. Et voila, le cadeau pour ma femme il est là. Avec un objet comme c'ui là, je suis sûr que sa tendresse va revenir.

EVE
- Ca vient, oui ? Je m'impatiente.
 
ADAM
- Ca vient, ça vient. Voilà, voilà. (Il lui présente le meuble). Alors contente ?
 
EVE
- Mais c'est merveilleux ce petit bijou là. C'est magnifique. Ce qu'elle va être jalouse.
 
ADAM
- Ah, mais attends. Tu n'as pas encore tout vu. (Il déplie le lit). Double emploi: lit, et canapé.
 
EVE
- Fantastique. Mon chéri tu es adorable. (Elle se pend à son cou).
 
ADAM
- C'est vrai, dis ? C'est vrai?
 
EVE
- Puisque je te le dis, idiot. Embrasse moi.
 
Ils s'embrassent debout.
 
EVE
(à l'adresse de la Comtesse)
- Pétasse !
 
Ils s'embrassent de nouveau, cette fois çi sur le lit.
 
COMTESSE D'EDEN
- Diantre voyez-vous cela ?
 
ADAM
- (Sans relever les yeux de son journal) Plaît-il cher ange ?
 
COMTESSE D'EDEN
- Mais sortez enfin de votre journal, Mac Adam !
 
MAC ADAM
- Ma chère, ne critiquez point cette noble et instructive attitude, certainement plus utile, à mon sens, que celle qui consiste à épier les moindres faits et gestes de nos voisins comme vous le faites.
 
COMTESSE D'EDEN
- Misérable snob que vous êtes. Il n'y a rien dans ce journal. Nous sommes à l'aube de l'humanité, l'écriture n'est même pas inventée.

MAC ADAM
- Qu'importe, je lis pour le principe.
 
COMTESSE D'EDEN
- Je ne vois pas à quoi ce genre de principe peut bien vous servir.
 
MAC ADAM
- Et moi, je me demande comment les comédies ménagères de nos voisins peuvent vous affecter à ce point.
 
COMTESSE D'EDEN
- Vous n'avez donc rien vu ?
 
MAC ADAM
- (Il pose son journal agacé). Vu quoi ?!
 
COMTESSE D'EDEN
- Mais comme cette grosse burlesque, cette banlieusarde attardée du Jardin d'Eden, ose me narguer à présent.
 
MAC ADAM
- (Il reprend son journal) Mais elle ne vous nargue pas, allons, vous vous faites des idées.
 
COMTESSE D'EDEN
- Pensez donc, elle m'a même insultée.
 
MAC ADAM
- Commérage ! Moi, je n'ai rien entendu.
 
COMTESSE D'EDEN
- Moi, si. Elle m'a traitée de pétasse, vous rendez-vous compte ? Ce n'est pas une insulte ça.
 
MAC ADAM
(comme à lui même)
- Non. C'est une réalité.
 
COMTESSE D'EDEN
- Le mufle. C'est tout ce que vous trouvez à dire ! J'enrage !
 
Court silence pendant lequel la Comtesse trépigne.
 
MAC ADAM
- (Reposant son journal) Bon, que vous manque-t-il pour être heureuse ?
 
COMTESSE D'EDEN
- Un lit, un grand lit à baldaquins.
 
MAC ADAM
- Vous plaisantez j'espère.
 
COMTESSE D'EDEN
- La Comtesse d'Eden ne plaisante jamais.
 
MAC ADAM
- (A lui même). C'est bien dommage. (A son épouse) Il n'est pas question de satisfaire ce nouveau caprice. C'est bien trop cher. On ne dilapide pas comme cela l'argent de Jéhovah.
 
COMTESSE D'EDEN
-.S'il te plaît.
 
MAC ADAM
- Non !
 
COMTESSE D'EDEN
-.Allez quoi, ce n'est pas grand chose. (Elle se frotte sensuellement à son mari) Allez mon petit minou.
 
MAC ADAM
- Non ! Et je ne suis pas votre petit minou !
 
COMTESSE D'EDEN
-.(Elle monte sur lui) Allez mon gros joujou.
 
MAC ADAM
- Et je suis encore moins votre joujou. (Elle l'embrasse). Mais... Veuillez... Mm... (Il se décontracte progressivement).
 
COMTESSE D'EDEN
-.Alors ?
 
MAC ADAM
- Je... Non.
 
Elle se jette à nouveau sur lui et l'embrasse furieusement.
 
COMTESSE D'EDEN
- Alors ?
 
MAC ADAM
- Je... Je crois que je vais envisager la situation.
 
COMTESSE D'EDEN
- Alors va, mon amour (Elle le libère). Va.
 
MAC ADAM
- Ah, quelle folie, mais que ne ferais-je pas pour tes beaux yeux.
 
Il sort et revient avec un lit à baldaquin.
 
MAC ADAM
- Etes-vous comblée, ô mon sublissime nénuphar tout couvert de rosée.
COMTESSE D'EDEN
- O combien je le suis. (Elle l'embrasse sur le front). Maintenant, rien ni personne ne pourra plus faire obstacle à notre amour.
 
MAC ADAM
- Et ma petite récompense ?
 
 
COMTESSE D'EDEN
- Vous aurez tout ce que vous désirez, et plus encore.
 
Ils s'embrassent sur le lit.
 
MAC ADAM
- Comtesse, je vous aime.
 
COMTESSE D'EDEN
- Ne dites pas de sottises et tirez les rideaux.
 
Il tire les rideaux.
 
EVE
- (Ils sont en train de s'embrasser). Adam ! Arrête ! Adam ! Non mais regarde-moi ça, elle a un lit à baldaquins maintenant.
 
MAC ADAM
- Mais on s’en fout, vient (Il l’attire à lui).
 
EVE
- Lâche moi, cochon ! Non, je ne m’en fous pas ! C’est intolérable !
 
MAC ADAM
- Mais t’as ton canapé lit. Qu’est ce que tu veux d’autre ?
 
EVE
- Je veux être la plus belle ! Je veux être la plus forte ! Je veux être la plus riche ! Je veux écraser cette salope !
 
ADAM
- Ben on est mal barré.
 
La Comtesse roucoule derrière les rideaux de son lit
 
EVE
- Non mais écoute là. Quelle débauche ! Entends là roucouler sous ses draps cette bourgeoise dégoûtante. Et son mari qui s’imagine que c’est de l'amour. S’il savait, le pauvre mec, qu’il n’y a que sa position qui l'intéresse.
 
ADAM
- Sa position. Ah ouais, laisse moi voir. (Il regarde avec des jumelles) Le missionnaire, j’en étais sûr.
Elle lui flanque une baffe terrible.
 
ADAM
- Mais qu’est ce que j’ai dis ?
 
EVE
- Vengeance ! Vengeance !
 
ADAM
- (Il se protège la figure) Pitié pas moi.
 
EVE
- (Voix mielleuse). Dis-moi, mon chéri ?
 
ADAM
- Mm ?
 
EVE
- Tu m'aimes ?
 
ADAM
- Oh oui. Tu ne peux pas t'imaginer à quel point.
 
EVE
- Justement, comme je n'ai pas beaucoup d'imagination, j'aimerais que tu me prouves d'une façon plus évidente, cet amour que tu prétends si grand à mon égard.
 
ADAM
- Oh oui ! Oui ! Où tu veux. Quand tu veux.
 
EVE
- On est d'accord. Alors, remue un peu ce qui remplit ton caleçon et rapporte-moi une cuisinière à gaz.
 
ADAM
- Quoi, une cuisinière à gaz ?
 
EVE
- Oui, parfaitement, une cuisinière à gaz.
 
ADAM
- Mais on n’a pas le gaz .
 
EVE
- C’est pas grave, on l’aura bien un jour.
 
ADAM
- Mais...
 
EVE
- Il n'y a pas de mais, et en triple vitesse ou je casse tout, et toi le premier.
 
ADAM
- J'y vais chérie. Pitié, ne casse rien. J'y vais. (Adam revient avec la cuisinière).
 
COMTESSE D'EDEN
- (Sa tête émerge des rideaux) Mac Adam ! (Elle est bousculée, sa tête disparaît des rideaux) Mac Adam ! Veuillez cesser. (Un temps) Mais cessez donc ! (On entend le bruit d'une gifle faisant tomber du lit Mac Adam).
 
MAC ADAM
- Elle a osé. Elle m'a frappé.
 
COMTESSE D'EDEN
- Mac Adam, je veux une cuisinière électrique.
 
MAC ADAM
- Et puis quoi encore.
 
COMTESSE D'EDEN
- Je veux une cuisinière électrique. Tu m'entends ? Tout de suite. Je veux une cuisinière électrique ou j'arrache tout. (Elle commence à déchirer les rideaux).
 
MAC ADAM
- D'accord, d'accord. On se calme, tu vas l'avoir ta petite cuisinière électrique. (Il revient en courant avec la cuisinière)
 
A partir de cet instant, les ordres s'accélèrent, tandis que les hommes courent de tous côtés pour satisfaire les désirs de leurs femmes.
 
EVE
- Adam, je veux un four !
 
COMTESSE D'EDEN
- Moi un four à chaleur tournante !
 
EVE
- Un four à micro ondes !
 
COMTESSE D'EDEN
- Un évier !
 
EVE
- Un lave-vaisselle !
 
COMTESSE D'EDEN
- Un lave-linge !
 
EVE
- Du linge !
 
 
COMTESSE D'EDEN
- De la vaisselle !
 
EVE
- La télévision !
 
COMTESSE D'EDEN
 
- La vidéo !
 
EVE
- L'électricité
 
COMTESSE D'EDEN
- Le gaz
 
EVE
- L'eau courante !
 
COMTESSE D'EDEN
- Le bonheur !
 
EVE
- Le savoir !
 
COMTESSE D'EDEN
- Le pouvoir !
 
EVE
- L'amour !
 
COMTESSE D'EDEN
- Un bébé !
 
EVE
- Deux bébés !
 
COMTESSE D'EDEN
- Quatre bébés !
 
EVE
- Huit bébés !
 
COMTESSE D'EDEN
- Seize bébés !
 
Elle se mettent à se balancer les bébés tout en jurant. Les deux hommes s’arrêtent, vont à la rencontre l’un de l’autre, se serrent la main et sortent ensemble en discutant comme deux vieux amis.
 
 
EVE
- Rapace !
 
COMTESSE D’EDEN
- Rascasse !
 
EVE
- Bécasse !
 
COMTESSE D’EDEN
- Limace !
 
EVE
- Laidasse !
 
 
COMTESSE D’EDEN
- Godasse !
 
EVE
- Grognasse !
 
COMTESSE D'EDEN
- Ragougnasse !
 
EVE
- Culasse !
 
COMTESSE D’EDEN
- Populace !
 
EVE
- Pétasse !
 
COMTESSE D’EDEN
- Putasse !
 
EVE
- Potasse !
 
SAINT PIERRRE
- Coupez !
 
Les deux femmes cessent soudainement d'être éclairées et disparaissent. Dans un silence général, un faisceau lumineux balaye la scène, s'arrêtant sur chaque objet abandonné. Au bout de quelques instants, le faisceau s'éteint et le tribunal est à nouveau éclairé.

15 décembre 2011

ACTE 1, Scène 4

 DIEU
(Finissant de se préparer)
- Mais qu’est ce que j’ai fais au Big Bang pour avoir un fils pareil. Je me demande bien ce qu’il a fichu pendant ces deux mille quarante ans. Deux mille quarante ans ! Ah, il s’est pris de belles vacances sous les étoiles du paradis, le môme.
 
GABRIEL
- Ca y est, patron, Saint Pierre est à nouveau bigotté sur le Quartier Général.
 
DIEU
- Très bien. Laissez nous, et revenez avec quelques anges débardeurs pour mettre en place la Cour de Justice Divine.
 
GABRIEL
- A vos ordre, patron. (Il sort)
 
DIEU
- Allons bon, où ai-je encore planqué mes tables de lois ? (Il fouille un peu partout dans la pièce) Non, elles ne sont pas là dessous... ni là dedans... à moins que... (Il jette un coup d'oeil sous son lit) Ah les voilà. Il me semblait bien les avoir rectifiées il n'y a pas si longtemps. (Il les tire à lui) Ouf ! Que c'est lourd (Elles sont en pierre).
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Hum ! patron, excusez moi d'intervenir, mais que cherchez-vous sous votre lit ?
 
DIEU
- Les dix commandements pardi !
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Alors, arrêtez donc de vous fatiguer de la sorte, je les ai fait graver sur DVD. (Le lecteur de DVD de l'ordinateur s'ouvre).
 
DIEU
- (Il se relève) Saint Pierre, que votre microprocesseur soit béni. Quelle excellente idée vous avez eu. La tradition, c'est bien joli, mais c'est un peu lourd et très encombrant. Donnez-moi ça. (Il saisit de disque). Merci.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Vous vouliez me consulter paraît-il ?
 
DIEU
- Oui, Saint Pierre. J'aimerais que nous examinions ensemble le dossier de l'Affaire Humanité.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Très bien. Installez-vous.
 
Dieu prend un chaise et s'installe devant l'ordinateur.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Je vais vous passer la reconstitution des faits en images de synthèse, accompagnée de documents d'archives.
 
DIEU
- Ca va durer combien de temps ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Un siècle, quatre ans, dix jours, onze heures, quarante-cinq minutes, et vingt-deux secondes.
 
DIEU
- Tant que ça ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Oui. Et encore, j'ai supprimé certains détails.
 
DIEU
- Vous ne pourriez pas me faire un résumé. Je n'aurai pas le temps de tout voir.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- C'est que l'affaire n'est pas très simple. Ce que je vais vous dire va vous sembler caricatural.
 
DIEU
- Tant pis. Allez y. Je prendrai ça comme une esquisse.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Pour raccourcir un peu et éviter de commencer aux origines de l'humanité, on peut affirmer que jusqu'à la révolution industrielle, tout était encore sous contrôle. Certes les progrès techniques dans quelques parties du monde avait permis à certains d'augmenter considérablement leur population et leur prédation sur l'ensemble de la création, mais les dégâts étaient spatialement limités et dans des zones à faible diversité biologique. Rien de très grave ni d'irrémédiable.
 
DIEU
- Et puis quelques grandes épidémies et quelques bonnes guéguerres permettaient, je suppose, de rétablir l'équilibre.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Tout à fait. Mais là où tout a commencé sérieusement à se gâter, c'est quand l'homme s'est intéressé aux énergies fossiles. Au départ, c'était formidable: moins de pression sur l'environnement, retour de la forêt, disparition des famines, et j'en passe. En bref, l'homme, ou tout au moins, une partie de l'humanité s'est vue soudain libérée de l'emprise de la nature. Du moins en apparence, et c'est cela qui l'a perdu.
 
DIEU
- Poursuivez.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Je m'explique. Autrefois, la plupart des êtres humains se battait pour leur survie. Ils étaient donc pleinement conscient du lien étroit qui liait leur sort à celui de la terre nourricière. Elle était crainte, mais respectée, un peu comme avec une mère. Mais lorsque l'homme découvrit le charbon et le pétrole, il réagit comme un adolescent qui braque une banque. Il étouffa de l'arrogance du démuni qui se vautre dans l'opulence, du soumis qui accède au pouvoir. La mère tant vénérée n'était plus qu'une vioque sans intérêt, un substrat de culture ou un élément du décor.
 
DIEU
- Tu me sers ou je te jette. Je vois ça...
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Exactement. A partir de cet instant tout s'accéléra. L'homme devint le seul maître à bord. Plus rien ne lui résistait. Le confort que lui permettait les énergies fossiles lui permit de progresser à une vitesse vertigineuse dans tous les domaines. Plus de famines, plus d'épidémies, plus de vieillesse, et de plus en plus d'êtres humains. Efficacité garantie... Les choses auraient pu en rester là, mais le développement était inégal. Une petite partie de l'humanité avait atteint un tel niveau de performance, qu'elle n'avait presque plus de contraintes. L'inaction lui pesait tellement qu'elle s'inventa de nouveaux besoins: le confort, les loisirs, la maison individuelle, l'automobile, l'électroménager, et tout un tas d'autres gadgets de plus en plus nombreux, de plus en plus sophistiqués et de plus en plus coûteux, notamment en ressources énergétiques. Les moyens locaux s'épuisant, ces sociétés partirent à la conquête d'autres gisements notamment dans les contrées où l'homme était resté plus proche de la nature, assis sagement sur des réserves intactes. La soumission fut rapide, d'abord directe, par la colonisation, puis plus vicieuse, par la mondialisation.
 
DIEU
- La mondialisation ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Oui une forme de féodalité à l'échelle mondiale. Mais je ne vais pas rentrer dans les détails., c'est très compliqué. Tout ce qu'il faut retenir c'est que le saccage de la nature s'accéléra de plus belle, appauvrissant les uns, enrichissant toujours plus les autres.
 
DIEU
- Et la nature dans tout ça ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- La nature ? Et bien, elle en a eu assez. Pourtant elle est de nature conciliante. Bonne pâte me direz vous. Mais là, c'était trop. Elle a commencé à envoyer des signaux de détresse, histoire de faire comprendre aux hommes qu'ils habitaient sur un monde limité dont les ressources n'étaient pas inépuisables. A chaque nouvelle bouffée de carbone dans l'atmosphère, la nature répondait pas plus d'ouragans, de canicules, de moussons destructrices, de sécheresses abusives. Mais rien n'y faisait. A croire que l'humanité était définitivement aveugle, sourde et amnésique, anesthésiée par le charbon, le gaz et le pétrole.
 
DIEU
- Et alors ? Que s'est il passé ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Très simple, logique, imparable: les ressources en énergies fossiles se sont épuisées au moment où l'humanité en était devenue complètement dépendante et qu'en même temps les conséquences de son utilisation en devenaient véritablement insupportables.
 
 
DIEU
- Très bien. Ils se sont calmés alors ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Que neni. Tout ce qu'ils ont trouvé de plus intelligent à faire c'est de se jeter dans les biocarburants, la biomasse et le nucléaire. La phase terminale a été rapide. La planète s'est vue intégralement cultivée, des plus basses terres aux plus hauts sommets. Alors la nature s'est littéralement effondrée. Les abeilles ont disparu, comme la plupart des insectes. Les oiseaux ont suivi, puis tout le reste. Plus de pollinisation efficace. Plus de nuisibles. Plus de récoltes. Ajoutez à cela un climat chamboulé, des sécheresses à répétition suivies d'inondations. Plus de végétation pour retenir les sols... Bref, lacatastrophe partout, les famines à l'échelle mondiale et les économies qui s'effondrent, et tout avec.
 
DIEU
- Et bien bon débarras...
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Bon débarras ?
 
DIEU
- Oui bon débarras. L'être humain redevient une miette, la nature reprend ses droits quelques millions d'années plus tard et tout le monde est content.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Oui, cela aurait pu se passer comme cela, mais...
 
DIEU
- Mais ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- C'était sans compter sur l'arme atomique..
 
DIEU
- C'est à dire ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Et bien lorsque les pays pauvres furent complètement affamés ils se tournèrent vers les pays riches. Leur haine explosa lorsqu'ils se rendirent compte que ces derniers s'étaient dotés de solides réserves pour faire face à l'adversité. Ils se mirent à genoux pour supplier les plus riches de leur venir en aide... Mais rien n'y fit. Chacun luttait pour sa survie. En désespoir de cause, ils brandirent la menace nucléaire. Mais elle ne fut pas prise au sérieux. Fatale erreur. Une pluie de missiles s'abattit tous azimuts sur les pays riches, suivie de répliques automatiques des deux camps jusqu'à épuisement des arsenaux.
 
DIEU
- Et ces arsenaux étaient importants ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Considérables ! La technologie nucléaire étant sensée suppléer aux énergies fossiles, elle s'était généralisée partout. On ne savait plus quoi faire du plutonium. Ce fut un carnage. Aucun survivant .
 
DIEU
- Aucun survivant ! Plus un seul humain ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Pas un.
 
DIEU
- Et bien je ne vais pas m'en plaindre. Et le reste du monde qu'est il devenu ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Ceci. (Une image apparaît à l'écran).
 
DIEU
- Une patate géante !
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Hélas non.
 
DIEU
- Qu'est ce alors ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Une météorite
 
DIEU
- Comment ? Vous voulez dire, que du plus grand chef d'oeuvre de la création, il ne reste plus que ça !
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Affirmatif. Les impacts nucléaires ont été si puissants que le globe terrestre s'est disloqué et a littéralement explosé, s'éparpillant dans le système solaire en millions de météorites.
 
DIEU
- (Atterré) Ha ! Les démons ! Les endiablés ! Les suppôts de Satan ! Ils vont me le payer ! Leur propre extermination, passe encore ! Mais ça ! ça ! Les fumiers ! Les chiens ! Ma vengeance va être terrible !
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Et encore, vous n'avez pas tout vu.
 
DIEU
- Saint Pierre, vous me faîtes trembler.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- L'explosion fut si colossale que les deux plus proches planètes de la Terre, Mars et Vénus, ont éclaté elles aussi.
 
DIEU
- Nom de Dieu de nom de Dieu... (Saint Pierre émet un signal d'alarme). Oh, hé, c'est bon. Je jure si je veux. Vous n'allez pas me faire la morale dans un moment pareil. (Court silence, pendant lequel Dieu fait défiler les images). C'est hallucinant. Je n'en reviens pas. Comment ont ils pu en arriver là ? Ce sont vraiment des abrutis ! Ah ça, individuellement ils sont intelligents, mais en groupe, ils sont vraiment lamentables. A croire qu'ils n'ont pas plus de jugeote que les moutons, les vaches ou les lapins. Effroyable ! Je suis écœuré (Un temps) Et j'ai tout à refaire maintenant ! 4 milliard d'années de boulot et tout à reprendre à zéro ! Déprimant !
 
Dieu ouvre un tiroir d'où il sort une bouteille de vin de messe qu'il débouche.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Seigneur ?
DIEU
- Oui ?
TERMINAL SAINT PIERRE
- Avez-vous entendu ce bruit ?
 
DIEU
- Quel bruit ?

TERMINAL SAINT PIERRE
- Ce "plop" que je viens d'enregistrer.
 
DIEU
- Ah, vous avez enregistré un "plop". Moi je n'ai rien entendu.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Mon logiciel de comparaison des sons analyse le bruit d'une bouteille que l'on débouche. Cette hypothèse est confirmée par la présence dans l'air de toute une série de dérivés alcoolisés que capte mon capteur olfactif. Si je ne fais pas erreur, vous buvez du Paulliac.
 
DIEU
- Oui, mais c'est un Mouton-Rothschild premier cru, et il est béni.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Cela va de soit et vous avez du goût. Mais ne croyez vous pas qu'il serait préférable d'étudier le dossier plus à fond, plutôt que de boire ?
 
DIEU
- Bon, ça va. (Il rebouche la bouteille). On est plus chez soi, ici. Puisque c'est comme ça, faites moi une sortie du dossier.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Avec plaisir. Affaire Humanité, 100 milliards de pages, impression en cours.
 
Une imprimante se met soudain à projeter en l'air des dizaines de feuilles.
 
DIEU
- Olala. (Il se précipite pour ramasser les feuilles). Arrêtez. Arrêtez tout.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Impression terminée.
 
 
DIEU
- Imprimez moi le résumé, et les principaux éléments sur lesquels il faudra orienter l'accusation.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Cela fait quand même quelques centaines de milliers de pages.
 
DIEU
- Ca ira. Mais sortez moi tout ça illustré en couleur, relié, et empaqueté, s'il vous plaît. Je ne veux pas de vos feuilles volantes.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Il sera fait comme selon vos désirs, Seigneur.
 
On entend l'ordinateur travailler. Dieu en profite pour déboucher la bouteille.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Seigneur ?
 
DIEU
- Quoi ? Ce n'est pas possible, même avec ce bruit vous réussissez à entendre le "plop". Mais comment faites vous ?
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- J'ai été très finement programmé.
 
DIEU
- Par qui ? J'aimerais bien le savoir.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Désolé, je ne peux pas vous le dire. L'accès à cette information est contrôlé par un code secret.
 
DIEU
- Qui cela peut-il bien être ? Lucie Fer ? Jamais de la vie, bien au contraire. Judas ? Pourquoi pas, il n'en est pas à son premier coup. A moins que...
 
Soudain, Gabriel entre avec quelques anges débardeurs.
 
GABRIEL
- Les anges débardeurs que vous avez demandés, patron.
 
DIEU
- Parfait. Messieurs, au travail. Vous commencerez par me retirer le lit et la commode. Ensuite, vous disposerez tous les apôtres en arc de cercle, avec au sommet le terminal Saint Pierre.
 
GABRIEL
- Et vous, patron, où êtes vous ?
 
DIEU
- Moi, je suis au dessus de tout ça.
 
GABRIEL
- Bien sûr. J'aurais du y penser.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Impression terminée, Seigneur.
 
DIEU
- Excellent. Vous aurez de l'avancement Saint Pierre. Je vous rajouterai de la mémoire vive. (Il saisit le dossier dans le bac de l'imprimante). Maintenant, vous me laissez examiner chaque pièce de ce dossier, tranquillement, et dans un endroit où vous ne viendrez pas me chercher. Compris ? (Il ricane).
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Serait ce une tentative de corruption cybernétique ?
 
Dieu s'apprête à descendre dans le puits de l'Enfer.
 
DIEU
- Tous ces soucis me déshydratent.
 
GABRIEL
- Mais... Mais vous allez chez le Diable !
 
DIEU
- Que voulez-vous ? Ce n'est pas de ma faute si c'est aussi le chemin qui mène à la cave.
 
GABRIEL
- Ah bon.
 
DIEU
- Mais surtout, pas un mot à ma femme, je compte sur votre discrétion.
 
GABRIEL
- Bien sûr.
 
A peine Dieu est-il entré dans le puits qu'un signal d'alarme provenant de l'ordinateur retentit. Dieu s'enfonce aux fins fonds de l'Enfer. Soudain, la porte du Paradis claque violemment laissant entrer Marie furibonde.
 
GABRIEL
- (Il hurle dans le puits ). Seigneur ! La voilà !
 
DIEU
- Ne criez pas si fort, vous allez me faire repérer ! Couvrez-moi! Ne dites pas un mot ! Vous m'entendez ! Pas un mot !
 
Gabriel couvre le puits d'un grand couvercle métallique.
 
MARIE
- (Ton glacial) Où est-il ? Gabriel, auriez-vous l'amabilité de m'indiquer où se cache mon débauché de mari.
 
Gabriel fixe Marie droit dans les yeux, puis regarde ses chaussures et enfin jette un regard furtif au puits de l'Enfer.
 
MARIE
- Très bien, vous ne voulez rien dire. Ce n'est pas un problème (Elle se dirige vers le terminal Saint Pierre). Saint Pierre, où se trouve mon mari.
 
TERMINAL SAINT PIERRE
- Dans les sous-sols de l'Univers. A la cave précisément.
 
MARIE
- J'en étais sûr. C'est du bon travail Saint Pierre. Je suis contente de vous. (Elle donne un coup de pied dans le couvercle du puits) Même dans des moments aussi dramatiques, il éprouve le besoin viscéral d'aller s'imbiber, comme du papier buvard, de vinasses diaboliques. (Elle descend dans le puits des Enfers) Diabolique rime avec alcoolique ! Alcoolique !
 
Les Anges Débardeurs continuent leur travail dans un silence ponctué par le bruit des pas de Marie sur les barreaux de l'échelle. Brusquement, les bruits de pas cessent.
 
DIEU
- Ciel, ma femme !
 
MARIE
- Alcoolique !
 
On entend résonnant dans le puits de l'Enfer, le bruit d'un coup violent, suivi d'un crie de douleur.
 
DIEU
- Gabriel ! : Judas !
 
GABRIEL
- Mais je n'ai rien dit.
 
On entend une série de coups en provenance du puits de l'Enfer; chaque coup est suivi d'un hurlement divin et d'un affaiblissement de l'intensité lumineuse.
 
Gabriel et les Anges Débardeurs finissent de mettre en place le tableau III. Les douze apôtres, douze ordinateurs sont placés en arc de cercle. Au sommet de l'arc, on trouve le terminal Saint pierre, et derrière lui, surélevée, la tribune de Dieu. Gabriel et les Anges Débardeurs sortent, leur travail achevé.
 
Lorsque tout est devenu noir, le silence s'installe.

Publicité
Publicité
1 2 > >>
Publicité